COMMUNICATION ET CRISE FINANCIERE


 
 

Concernant la crise financière mondiale, il est clair que la presse n’est pas seule responsable des réactions en chaîne (pouvant conduire à des catastrophes) mais elle y contribue hélas grandement en sacrifiant à l’événement censé “intéresser” le lecteur/spectateur/acteur. Combien de titres alarmistes, lapidaires, combien de révélations qui n’en sont pas. L’exemple du Canard enchaîné est flagrant. Quand on le cite, qui rappelle que le sous titre de ce fleuron de la liberté de penser porte la mention “Journal satirique” qui dit bien ce qu’elle veut dire : à prendre avec distance et pas au pied de la lettre. Mesure-t-on l’importance du traitement médiatique dans les mouvements boursiers ? Guère plus que l’on mesure celle de la violence télévisuelle sur la violence réelle. En France, les travaux scientifiques sur ces questions sont très rares parce que les études sur l’influence ne se déroulent

pratiquement jamais sur le long terme, et comme par hasard, l’analyse est confinée au court terme, exactement comme celle des journalistes ou des “décideurs” boursiers... Ce qui nous manque cruellement dans le journalisme, dans l’analyse critique du journalisme et dans la décision économique, c’est justement la vision à long terme, la finalité au sens où l’entendait Emmanuel Kant dans ses célèbres maximes.

Si au plan économique et politique, des mesures de bon sens semblent s’imposer et finiront par être promulguées, comme la taxation des plus values boursières à court terme, on peut parier qu’il y aura d’autres produits financiers dangereux et d’autres crises, inhérentes à l’économie de marché (sachant que sa rivale, l’économie dirigée, a apporté son lot d’injustices et de pauvreté). Ce qui signifie que le traitement médiatique a encore beaucoup de progrès à accomplir pour répondre aux enjeux d’une société libre mais complexe.

Là est la question : comment construire un système médiatique qui enseigne la prise de distance face au contingent, à l’événement, à l’éphémère, sans pour autant perdre de vue sa mission républicaine de critique et de ciment démocratique ?
En premier lieu, réhabiliter l’approfondissement et le recul personnel, vertus qui pourraient être développées par le système éducatif, à condition qu’il ne sacrifie pas lui même aux modes de la facilité et de la démagogie (toujours moins d’effort personnel et de responsabilité). En second, le recours systématique à plusieurs niveaux de lecture simultanés. Les techniques de mise en page traditionnelle le faisaient déjà avec notamment les encadrés et autres notes. Le web le facilite et le rend presque indispensable. En troisième lieu, réinstaurer du long terme, déjà en faisant des rappels historiques systématiques (rendus plus faciles par l’hypertexte), instiller cette relative indifférence aux événements pour se consacrer aux évolutions les plus significatives (en exploitant les fonds d’archives). Quand les marchés découvriront leur cécité, leurs erreurs répétées, bien mises en perspective, leur “dictature” ne pourra plus s’exercer de la même façon. Enfin, en dernier lieu, redonner du sens collectif, de la socialité, illustrer concrètement notre être au monde plus que jamais nécessaire dans la globalisation dans laquelle nous sommes tous engagés.
Objectifs lointains, tâches difficiles, procédures complexes, utopie ? Certes. C’est le seul moyen de dépasser la crise et d’en sortir grandis.




JLM


Texte publié dans le catalogue du Forum Capcom 2008, Nantes.

Mars 2008



La crise financière de 2008 et la communication


Quand le cinéaste Robert Guediguian attribuait à François Mitterrand la phrase sur le “mépris de l’événement et la passion de l’indifférence” dans le Promeneur du champ de mars (2005), il ne pensait pas nécessairement à la crise

financière de la fin 2008. Face à des événements d’une telle ampleur et à l’emballement médiatique qu’ils suscitent, quelles réflexions positives en tirer pour mieux assurer notre avenir commun ?
Les mouvements boursiers se décrivent assez bien avec la théorie de la “contagion mimétique” de René Girard ou, quand tout s’emballe, avec la théorie des catastrophes de Thom et Zeeman. Mais quelle est la part du système médiatique dans cet emballement ? Que peut-il faire d’autre que de propager la contagion, développer la crainte en alimentant la crise ?...

Cette crise financière pose des questions fondamentales au système médiatique et peut-être au système éducatif. Que peut on proposer ?
Les chartes du journalisme le soulignent toutes, dans tous les pays : il faut commencer par chercher la source d’une information et la croiser avec d’autres. S’agissant des nouvelles économiques et/ou boursières, où se trouvent-elles ? Comment les interpréter alors qu’elles sont plongées dans des interactions permanentes ? Il ne suffit pas d’être conscient que ces sources “autorisées” ou non jouent leur propre partition, répondent à une logique, parfois à une stratégie pour mieux les décoder. Il faut certes une culture très vaste, mais en plus, une curiosité sans limite, une mémoire sans faille et par dessus tout un recul critique s’étendant jusqu’à son propre système de représentation ou de préférences philosophique, politique ou social. Autrement dit, l’effort de mise à distance, consubstantiel du journalisme se trouve devant une situation particulièrement difficile parce qu’elle est systémique. Et on pourrait encore y ajouter la pression de l’événement, de la concurrence interne au sein des rédactions et de la guerre économique entre les médias.

Warren Buffet, la plus grosse fortune mondiale, a bâti un empire boursier vraiment durable sur l’indifférence absolue aux turbulences passagères en lui préférant l’examen réfléchi et approfondi des opportunités d’achat présentées par les crises lorsque les actions sont anormalement basses. Le journalisme, s’il veut une crédibilité durable, ne pourrait-il s’en inspirer ? Son gain ne serait évidemment pas financier (quoique...) mais essentiellement psychologique ou social en faisant remonter sa légitimité. D’abord un retour aux fondamentaux : effectuer un travail de fond, attendu par les lecteurs, ne pas succomber au raccourci, au titre qui fait mouche, bref à la satire ou au pur jugement de valeur. Le manque de crédibilité, pointé dans toutes les enquêtes depuis des décennies tient beaucoup à ce manque d’approfondissement. Un outil comme Google News l’illustre depuis 2002 : La presse est incroyablement redondante et n’apporte que bien peu d’originalité. Elle n’a pas encore appris à se servir des fonctionnalités des hypermédias permettant à chacun de trouver un niveau de réponse approprié au degré de précision qu’il souhaite. Sur le net, la différence est flagrante entre les grands journaux américains qui offrent très souvent trois niveaux d’information : la source, avec des interviews in extenso (souvent en vidéo), la sélection avec un montage assorti de quelques éclairages explicatifs et le commentaires proprement dit, avec des renvois permanents à la source et à d’autres éléments pour fonder la crédibilité de l’analyse. Beaucoup de travail certes, mais le lecteur s’y retrouve. Et les médias aussi.