UN PRIX NOBEL QUI DERANGE…


 
 

Quant au célèbre film de Al Gore (“Une vérité qui dérange”), un juge anglais a pointé simultanément ses neuf erreurs scientifiques graves et exigé qu’un avertissement soit apposé avant sa projection aux élèves des collèges. Ce fait a-t-il été convenablement relayé ?

Et l’opinion publique ? Que pense-t-elle exactement sur la question ? On ne dispose que de sondages aussi imprécis que les multiples enquêtes sur le racisme qui affirment toutes que nous ne sommes

évidemment pas racistes (sauf parfois...). On peut penser “Après moi le déluge” (ou la canicule) mais sûrement pas l’exprimer. En France, un autre élément est à prendre en compte. On n’aime pas Bush. Il a battu Gore dans des circonstances discutables, donc on est pour Gore, c’est moderne et valorisant. Que donneraient des enquêtes dans lesquelles on chercherait à savoir comment nos compatriotes sont prêts à modifier leur mode de vie pour la réduction d’émission de CO2 ? Troisième conclusion : le risque du politiquement incorrect est fort. Ne cherchons pas trop profondément l’acceptabilité d’éventuelles réformes. Les économies d’énergie, c’est comme les suppléments d’impôts ou de taxes... de préférence pour les autres.

Une question aux médias : à défaut d’aller chercher les faits scientifiques bruts, à défaut de croiser les sources pour permettre au public de se forger un avis, sûrement variable en fonction de l’évolution des connaissances sur le “Global warming”, pourquoi ne pas faire davantage de reportages approfondis sur les tenants de l’une ou l’autre thèse, des enquêtes sur le mode de vie des écologistes, sur les solutions personnelles qu’ils ont pu mettre en œuvre pour sortir du discours militant et convenu ? A l’heure où la société se reconnaît systémique, peut-on se contenter de schémas simplistes avec une seule variable ? A l’inverse, ne peut on enquêter sur les contre- argumentations ou contre-solutions préconisées par les sceptiques ? La crédibilité à laquelle aspirent les médias n’y gagnerait elle pas plus qu’à diffuser des discours convenus ou à reprendre des dépêches tellement générales qu’elles dissuadent de lire des journaux qui n’apprennent plus rien tant ils s’uniformisent en cherchant - sans le dire - un consensus de façade paré des meilleurs bon sentiments ? Le politiquement correct en politique trouve ses antidotes naturels, ne serait ce que le bon sens, mais est-on sûr qu’il en soit de même pour une question scientifique aussi délicate ?

Enfin, la politique. En pleine préparation du Grenelle de l’Environnement, elle ne peut que se féliciter du Nobel qui va accélérer le processus. Mais la fonction critique de la presse n’est elle pas d’interpeller les décideurs politiques sur les effets et sur les coûts directs et induits ? Dernières conclusions : L’éthique du journalisme passe par l’originalité d’esprit. L’avenir des médias par le courage. Et celui des journalistes par leur travail acharné et ingrat, même s”il est plus facile de rendre un papier attrayant en simplifiant tout, en faisant croire que l’écologie est simple et que le CO2 fait pousser le Mont-Blanc.

La grandeur du métier, c’est le doute. Ne le perdons pas.




JLM


Article paru dans le programme officiel du Festival international du Scoop et du Journalisme d’Angers en 2007.

Novembre 2007



Charte de l’environnement et charte du journalisme : Un Nobel qui dérange


L’attribution du prix Nobel de la paix 2007 constitue une belle étude de cas des relations entre le

journalisme, les faits, l’opinion publique et la politique.
D’abord les faits : lesquels choisir ? Première option : les faits bruts, incroyablement difficiles à détecter et démêler, qui exigeraient une longue et patiente investigation risquant d’aboutir à une absence de conclusion tellement les variables sont nombreuses et les incertitudes encore grandes. S’agissant d’une question scientifique ardue, elle devrait obliger la presse à ne confier la rédaction des papiers qu’à des spécialistes patentés, diplômés, doublés de fins limiers, naturellement incorruptibles et sachant faire comprendre des choses compliquées en utilisant des mots simples. Même en épluchant les listes des signataires des nombreux articles qui ont couvert l’attribution du Nobel (on ne parlera pas évidemment des simples reprises d’agences), il apparaît que les journalistes diplômés de météorologie, de climatologie, de géologie, de paléobiologie, etc. ne sont pas légion... On dira aussi - pour se donner bonne conscience - que de tels articles seraient forcément longs, lourds et ennuyeux, et qu’ils n’intéresseraient personne. Première conclusion : n’allons surtout pas rechercher les faits bruts, c’est inutile pour la bonne information du lecteur/spectateur, trop pénible ou trop coûteux pour l’émetteur.
Seconde option : les faits médiatisés, c'est-à-dire ceux qui émanent des chercheurs, des (nombreux) spécialistes patentés. Le comité Nobel a eu la bonne idée de couronner le GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat). Dès lors, deux solutions pour les journalistes : lire le volumineux rapport de 2007 et comparer avec ses versions antérieures pour faire découvrir au public le gain de précision dans la modélisation. Vue la prudence diplomatique et scientifique extrême du texte, difficile de le rendre haletant. D’où la seconde solution. Lire le texte (bis) pour alimenter le questionnement des signataires du rapport 2007 : pourquoi la fourchette d’élévation prévue pour 2100 est-elle plus large en 2007 (1,1/6,3°C) qu’en 2001 (1,4/5,8°C) ? Ce qui permettrait d’expliquer aux lecteurs/spectateurs que ces modèles sont théoriques - et respectables - mais imparfaits. Ou leur rappeler que toute théorie, pour être scientifique, doit pouvoir être réfutée comme nous l’a appris Karl Popper, le plus grand épistémologue du XXème siècle. Les rares interviews de spécialistes (forcément français) ont cherché à relayer un message simple : on est certain du réchauffement, et un autre encore plus lisible (et déjà militant) : c’est à cause du gaz carbonique (sous entendu de la société de consommation). Et comme si ceci ne suffisait pas, le comité Nobel a voulu distinguer Al Gore pour agir sur les gouvernements parce qu’“il est probablement l'individu qui a le plus fait pour créer une meilleure compréhension à travers le monde des mesures qui doivent être adoptées” (dixit le texte officiel). On notera que la cause est entendue pour l’Académie royale : des mesures “doivent être adoptées”. Seconde conclusion : pour le recoupement et la vérification des “faits”, l’éthique est triturée de la même façon que les trissotins qui imputent les (soi- disant) 2 mètres de plus du Mont Blanc... au seul réchauffement. Il faut vraiment chercher beaucoup dans le traitement médiatique pour trouver quelques rares allusions aux chercheurs qui contestent mais qui usent eux aussi parfois de formules creuses pour tenter de se faire entendre, ce qui ne simplifie pas l’analyse.