APPLE   PASSION
 
LE DESIGn apple a un prédécesseur…
 

La Vision.

Encore et toujours…



vec l’iPad en février 2010, Apple a encore créé la tendance mondiale.

D’où vient ce miracle ?

Comment se fait-il qu’une entreprise, aussi innovante soit-elle, puisse entraîner depuis si longtemps presque tous les constructeurs dans son sillage ?

Pour anticiper nos besoins et rendre nos existences plus intéressantes, il a fallu le charisme d’un dirigeant visionnaire, Steve Jobs, associé à un designer hors pair, capable de matérialiser la vision du fondateur en y intégrant toute la capacité d’innovation du groupe, Jonatan Ive, anobli par la Reine et “découvert” par Steve Jobs en 1997 alors qu’il végétait chez Apple.

Mais Jonathan Ive a eu un prédécesseur peut-être aussi génial que lui : Dieter Rams, le designer de Braun entre les années 50 et 90 qui a eu un rôle comparable en impulsant le style d’une marque et lui assurant une place de leader absolu.



Une étrange ressemblance


J’ai eu la chance de visiter la grande exposition Dieter Rams au Musée du Design de Londres (dans le quartier des Docks). Je connaissais la marque Braun (je possède comme beaucoup des objets Braun chez moi, genre cafetière ou autres ustensiles de cuisine). Mais je ne savais pas à quel point Rams a façonné le design industriel de manière définitive. Son œuvre est fascinante, incroyablement en avance sur son temps.

Et le parallèle avec Apple est saisissant.

La Pomme fait d'ailleurs partie des sponsors de l’exposition et quelques iPods ou iPhones y étaient exposés.

Le compagnonnage entre les Frères Braun et leur designer a duré 40 ans et Rams a fini sa carrière comme directeur général. Sera-ce l’avenir de Jonathan Ive ?

Ajoutons que Rams a adoubé Ive comme un Designer important.




Des principes identiques : Forme et Fonction


Autrefois, j’ai enseigné les principes de base du design (du point de vue de la communication bien entendu), et je ne vais pas reprendre un cours ici, mais seulement rappeler la question du rapport entre la forme et la fonction. Cette relation - très ancienne - est fondée sur les travaux de l’Ecole d’Ulm, qui a été dissoute une première fois en 1933 par les nazis pour être rouverte en 1953. Dans l'intervalle elle a été refondée à Chicago en 1944 en tant que Institute of Design (cf. Sixties Design par Philip Garner).

Des personnalités hors normes y furent élèves ou y enseignèrent comme Max Bill,  Moholi Nagy ou des photographes comme Harry Callahan.

Cette Ecole d’Ulm à l’influence mondiale inaltérable fut celle de l’étude de la forme simple, dans la survivance du Bauhaus (littéralement “Maison de la Construction” ou du “bâtir”) et le réexamen des questions   théoriques posées dès 1919 par Walter Gropius pendant la République de Weimar.
Relations entre Art et artisanat, question de la production industrielle, de la répétitivité, du coût, de l’usage de machines de production (les machines pervertissent-elles l’expression artistique ?), mais aussi des débats entre impressionnisme et constructivisme, ou encore forme et fiction, simplicité apparente et complexité réelle, etc.. De très grands créateurs comme Paul Klee ou Vassily Kandinsky en firent partie pendant sa brève existence, de 1919 au départ de Gropius en 1928, avant son installation à Harvard en 1937. L’activisme communiste visant à subordonner toute création à une demande sociale occupa beaucoup de temps de débat jusqu’à la nomination de  l'architecte Mies van der Rohe en 1930 qui tenta de ramener les réflexions sur les questions posées par le premier Bauhauss. Mais, dès 1932, le nazisme hélas triomphant ferma définitivement l’école.

Malgré - ou grâce (!) à - cette fermeture l’esprit du Bauhaus s’est diffusé dans le monde entier. Au plan pédagogique, il a inventé le double tutorat entre un maître artiste et un maître artisan. Le mouvement a surtout initié la réflexion fondamentale entre la Forme et la Fonction. A quoi sert un objet ? Comment doit-il être fait ? La forme signe (signifie) la fonction. A quoi sert le Beau ? le Beau est-il utile ? Est-il simple ? L’objet doit-il signifier la fonction ? Comme le dit Abraham Moles, la forme est conscience de prévisibilité…

On pourrait établir d’autres ponts jetés par le Bauhaus vers l'architecture contemporaine, la peinture, les arts plastiques, la photographie, la mode, le mouvement des Arts décoratifs et le style Art Déco, et bien sûr, le Design, dans son sens le plus actuel.




Les Dix Commandements d’un bon design (selon Dieter Rams)



1. Le bon design est innovant

Il ne copie pas la forme de produits existants et n’introduit aucune nouveauté gratuitement.

L’essence de l’innovation doit être clairement visible dans toutes les fonctions d’un produit.

A cet égard, il est impossible d’en épuiser toutes les possibilités.

Le développement technologique offre sans cesse de nouvelles opportunités pour proposer des solutions innovantes.



2. Le bon design rend un produit utile

On achète un produit pour l’utiliser.

Cet objet doit répondre à une exigence définie – aussi bien dans ses fonctions primaires que secondaires.

Le but essentiel du design est d’optimiser l’utilité d’un produit.



3. Le bon design est esthétique

L’esthétique d’un produit – et la fascination qu’elle exerce – est essentielle à son utilité. Il est sans doute déplaisant et fatiguant de s’accommoder de produits déroutants, qui vous énervent et vous semblent parfaitement hermétiques. Toutefois, depuis toujours il est difficile de discuter d’esthétique, et cela pour deux raisons.

Premièrement, il est difficile de parler de ce qui est visuel puisque les mots revêtent différentes significations pour chacun de nous.

Deuxièmement, l’esthétique traite de détails, de nuances subtiles, de l’harmonie et de l’équilibre de toute une variété d’éléments visuels.

Seul un œil averti, formé par des années et des années d’expérience peut tirer les bonnes conclusions.




4. Le bon design contribue à l’intelligibilité du produit

Il clarifie la structure du produit. Mieux encore, il donne la parole au produit. Au mieux, il se passe d’explications et vous évite la lecture longue et fastidieuse du mode d’emploi.



5. Le bon design est discret

Les produits qui satisfont à ce critère sont des outils.

Ce ne sont ni des objets décoratifs ni des œuvres d’art. Leur design doit donc être neutre et sobre, et il doit permettre à l’utilisateur d’exprimer librement sa personnalité.



6. Le bon design est honnête

Un produit au design honnête ne doit pas revendiquer des caractéristiques – plus innovant, plus efficace ou plus précieux – qu’il n’a pas.

Il ne doit ni influencer ni manipuler les acheteurs et les utilisateurs.



7. Le bon design est durable

Ce n’est rien de branché et il ne risque pas d’être démodé dès demain.

C’est l’une des différences essentielles entre les produits avec un bon design et les objets vulgaires destinés à une société qui produit des déchets. Les déchets ne peuvent plus être tolérés.



8. Le bon design, c’est jusqu’au dernier détail

La minutie et la précision du design représentent le produit et ses fonctions vus à travers le regard de l’utilisateur.




9. Le bon design se préoccupe de l’environnement

Le design doit contribuer à un environnement stable et à une utilisation raisonnable des matières premières.

Ceci signifie qu’il faut prendre en considération non seulement la pollution actuelle, mais aussi la pollution visuelle et la destruction de notre environnement.




10. Le bon design est minimaliste

Moins, mais mieux. Le bon design se concentre sur les aspects essentiels et les produits ne sont pas pollués par le superflu.

Le bon design est un  retour à la pureté, à la simplicité.






Le bon design ne concerne pas que le luxe…


Pendant longtemps, on a dit qu’Apple possédait les atouts d’une entreprise de luxe : prix plus élevés que la concurrence, distribution sélective, élitisme plus ou moins marqué de ceux qui pensent différemment (sous entendu, sont des initiés, des créateurs qui voient plus loin…). D’où une certaine hargne, encore fréquente sur quelques forums aujourd’hui. Ces raisons sont tombées les unes après les autres. Les prix ont baissé très fortement jusqu’à s’aligner sur la concurrence voire surprendre par leur modicité (cf. le prix auquel on attendait l’iPad). La distribution est restée sélective, mais a inventé des approches nouvelles, copiées un peu partout : c’est l’appellation “écosystème” qui la caractérise le mieux avec l’association ipod+itunes+itunes store). L’élitisme a sérieusement fondu avec le nombre de personnes qui se promènent avec leur iphone (sans compter les ipods). Quant au think different, il reste à en voir les résultas en matière de brio…

Si Apple garde des caractéristiques du luxe, ce ne sont pas celles ci.

Le luxe, c’est aussi ce que l’on appelle la classe, c'est-à-dire une forme d’économie des moyens, de non superfétatoire, d’adapté, de confortable, de durable, de style de vie orienté vers l’essentiel, le simple et l’efficace…

La comparaison avec les œuvres de Dieter Rams est éclairante. Rams n’a pas travaillé que pour le luxe (un presse agrume est-il un objet de luxe ? ou un “transistor” simple des années 60 ?

Ce sont souvent les tenants des mauvais produits, ceux qui polluent notre environnement ou notre vie parce qu’ils ne sont pas capable de bien dessiner leurs appareils, qui jouent le misérabilisme en prétendant que le luxe ne serait pas pour eux, ni pour leurs clients.

On rejoint là un des grands thèmes de Victor Hugo ; Les pauvres ne pourraient-ils connaître et apprécier le Beau sous le fallacieux prétexte qu’il serait trop éloigné d’eux ? (de leur “capital culturel” pour reprendre des termes modernes).

Les objets les plus simples, les moins onéreux devaient être bien dessinés, en pensant à la facilité d’appropriation par leurs utilisateurs,n notamment les plus fragiles. Et là encore (pardon d’entamer un nouveau couplet à l’honneur de la compagnie), Apple a été innovant : Dès 1984, le mac offrait des fonctions pour les personnes handicapées : grossissement, synthèse de parole, interfaces spéciales. Le slogan de la division qui traitait de ces questions n’était-il pas : “Aider des personnes extraordinaires à faire des choses ordinaires”.



design et marketing


Dieter Rams et Jonathan Ive ont tout dit sur la question : Si l’on fait des tests sur des panels, aussi diversifiés soient-ils, on n’aboutira qu’à des solutions sans originalité, à des compromis fades qui ne feront rien progresser, qui s'oublieront aussi vite qu’ils auront été proposés. Ce n’est pas au “public” de créer le bon design, c’est au designer de proposer une réponse adaptée. C’est son acte créateur et sa responsabilité. Ce qui rend la tâche du designer encore plus difficile puisqu’il doit articuler l’originalité de la création avec la connaissance des attentes ou des besoins diffus des publics, tout en intégrant le process industriel et toutes ses nombreuses variables.

Ive dans son atelier secret, filmé dans le documentaire Objectified. Comme le prescrivait Gropius et le Bauhaus, le designer est à la fois artiste et artisan (on voit les machines en arrière plan). Rams opérait de la même façon avec ses maquettes.




Le design des interfaces


Ce chapitre ne peut se conclure sans rappeler qu’un bon design sur des objets interactifs, c’est aussi et surtout peut-être, une grande qualité des interfaces. Et là encore, Apple créé le mouvement en rendant toujours plus simple l’accès et l’usage des ordinateurs. Il suffit de voit comment l’univers Windows cherche à coller au système d’exploitation Apple depuis les origines; Et comment, les grandes révolutions ont toujours été initiées par Apple.

Pour posséder, comme beaucoup sans doute un iPhone et un GPS Tomtom, je peste régulièrement contre ce dernier tellement son interface est archaïque à ce que permet de faire l’iPhone avec Plans ou Google Maps.

Le design des interfaces ne s’améliorera pour tous que si nous devenons plus exigeants.


 

Sir Jonathan Ive,

Le designer d’Apple depuis 1997, signataire de toutes les grandes créations de la marque.

Dieter Rams à peu près au même âge

le designer de Braun depuis les années 50

Un “transistor” de 1967…

Et un iPod de 2001…


Même simplicité des formes.

Même roue circulaire.

La ressemblance formelle est frappante…

Face à un problème similaire, les deux designers ont trouvé une réponse bien proche.

C’est normal, ils sont partis des mêmes bases fondamentales : la réflexion sur la forme et la fonction. L’objet doit évoquer la simplicité que sa puissance apporte à l’utilisateur.

(ce montage photo est emprunté à l’excellent site Gizmodo, et repris par Design Sojourn).

Ci dessous, la conception minimaliste de Dieter Rams est très sensible sur ces radios des années 60 :
Pas de décrochements, pas de boursouflures, pas de boutons inutiles, pas de formes parasites : du simple, du clair, du lisible, et partant, du beau.


La simplicité parfaite des produits BRAUN :

Poste Radio à ondes moyennes de 1961 ! Simplicité, clarté, précision, durabilité. Rams parle de produits “durables”… depuis 1970 !!

Presse Agrume, 1972
Le célèbre briquet Braun  de Rams, 1968. Deux millions d’exemplaires vendus.


Dieter Rams au début des années 80 quand il a édicté ses Dix Commandements.

Merci à Vitsoe, la seconde entreprise dans laquelle Rams a travaillé pour la mise en forme des Commandements, repris dans l'exposition de Londres.

Le travail de Jonathan Ive se trouve incroyablement expliqué par les “10 Conseils” de Dieter Rams, édictés au début des années 80. En voici une petite illustration.


1. Le bon design est innovant

La première version du Shuffle. L’innovation est manifeste…











2.Le bon design rend un produit utile

La première version de l’iPod. Il fallait rendre  la manipulation évidente et illustrer l’utilité d’un baladeur d’un nouveau genre (après les modèles à cassettes inventés par Sony)


3.Le bon design est esthétique

De tous les produits Apple, le MacBook Air est  les plus est peut-être  le plus esthétique.


4.Le bon design contribue à l’intelligibilité du produit

L’iPhone n’en est-il pas une illustration parfaite ?

5.Le bon design est discret 
Contrairement à ce qu’on pourrait penser sur le “look ostentatoire” d’Apple comme disent certains, il existe pas mal d’exemples de discrétion des fonctions. Exemple : l’incroyable travail de dissimulation du témoin de la webcam des MacBook Pro. En position Off, le témoin est absolument invisible … et en position On, il apparait comme magie.

Les télécommandes sont elles aussi très discrètes :



6.Le bon design est honnête 

Les concurrents de l’iPhone répondent-ils à ce critère ? La forme qu’ils reprennent (d’Apple) correspond elle à de nouvelles fonctions ? Leur interface est-elle meilleure ou n’est-ce qu’une pale répétition ?


Et pour citer un exemple fort ancien d’Apple, déjà designé par Ive, voici le Spartacus, incroyablement puissant (et cher), et commercialisé pour les 20 ans d’Apple.


7.Le bon design est durable 

Outre les grandes précautions d’Apple (bien aiguillonné par Greepeace…) en matière de protection de l’environnement et de recyclage des produits, la durabilité, c’est aussi une forme de lutte contre l’obsolescence. Les vieux macs tiennent encore la comparaison avec les nouveaux. Ceci est dû à la combinaison du critère “perfection de la forme” (une fois celle ci bien définie, plus besoin de la changer) et à celui de  l’évolution prudente des modèles qui ne se démodent pas. En 2010, un macbook dernier cri ne démode pas un ibook de 2002.

Et l’on voit encore des imacs des années 2002 qui ne dépareillent pas un environnement ultra moderne.
La durabilité, c’est aussi la fiabilité. Et là encore, le design d’Apple s’inscrit dans le commandement de Rams. Le bon design doit prendre en compte la solidité (par exemple la rigidité a  progressé avec la conception Unibody), mais aussi les moindres notions d’assemblage des pièces. Ive s’en explique très bien dans le documentaire Objectified


8.Le bon design c’est jusqu’au dernier  détail 

Le perfectionnisme d’Apple est tellement connu (et moqué par  certains) qu’il est inutile d’insister. La lecture des essais des macs dans les revus de PC est édifiante : ils insistent toujours sur la perfection de la finition. Qu’on se souvienne du tempos qu’a pris Jobs dans une keynote à présenter la conception unibody.

Quand aux emballages, comment expliquer le succès des sites qui montre le déballage d’un nouveau produit. Si une firme fabrique des objets dont elle est fière, elles les signe jusqu’au bout et doit soigner les emballages.


9.Le bon design se préoccupe de  l'environnement 

Apple se préoccupe depuis longtemps de ces questions au point d’en faire un argument de vente puisant et différenciateur.


10.Le bon design est minimaliste 

Il faut entendre minimalisme comme forme aboutie. Celle que l’on atteint au bout d’une relative (!) ascèse, quand on n’a plus rien à prouver et qu’on se concentre sur l’essentiel. Les produits Apple sont tellement pensés qu’ils n’offrent que cet essentiel. Mais dans la perfection de la forme et de la fonction.