Essai d’un LEICA M240

 

Un essai excitant et angoissant…


Depuis le tremps que j’en avais envie… Et après en avoir essayé dans des boutiques, j’ai eu la chance que mon génial revendeur Studio Gonnet me prête un LEICA M240 équipé de son superbe Summicron f:2 de 35 mm pendant plusieurs jours.

Voici un petit compte rendu sans prétention que j’ai rédigé après avoir lu quantité de tests qui m’ont laissé sur ma faim (ci-dessus une photo prise avec - original en HD par un clic).

On n’arrête pas de lire, surtout sur les sites ou les blogs français, à quel point cet appareil mythique serait meilleur que tous les autres.

C’est pourquoi j’ai décidé de lui consacrer une page. Une légende en vaut bien la peine.


Une visée agréable ? Vraiment ?

La visée fait partie des premiers arguments en faveur des Leicas. Après avoir passé des heures et des jours avec, l’enthousiasme initial de tenir entre les mains cette merveille est un peu retombé je dois l’avouer…

Très franchement, au risque de choquer, j’ai ressorti mon Edixa Mat Reflex de mes jeunes années auquel le viseur du M240 m’a fait penser à cause de son simili-stigmomètre. Faire le point relève du miracle quand il n’y a pas de ligne droite… S’il s’agit de viser l’œil du modèle, on n’est jamais sûr, sur des feuilles encore moins… C’est angoissant. On se pose des questions sur ses aptitudes tant l’objet et les commentaires qu’il a inspirés imposent le respect.

Franchement, après des jours de tentatives acharnées et malgré mon expérience d’une cinquantaine d’années de photo (!), je n’y arrive qu’une fois sur deux ou trois.

Pire. On est tellement occupé à faire le point qu’on rate forcément l’expression juste. Quand c’est enfin net, le sujet n’est plus intéressant. L’expression s’en est allée. C’est très décevant. Ou frustrant.

Finalement, je crois avoir enfin trouvé la raison des portraits posés qui regardent fixement l’objectif : c’est indispensable pour faire un point correct ! Comme autrefois à la chambre… Je rigole un peu bien sûr, mais après plusieurs jours d’essais intensifs, impossible d'être sûr que ce sera net.

Finalement, c’est presque plus sûr d’estimer la distance et de la reporter sur l’objectif. A l’ancienne. Comme sur le Folding Lumière de mon père (ou comme dans le cinéma professionnel).

Ceci dit, ça marche si on diaphragme assez. Mais on n’achète pas un Leica pout opérer à f:16 ou f:11. Vu le merveilleux bokeh des objectifs, on prèfère généralement les grandes ouvertures. Et là, on sera dans l’approximation.

Je connais par cœur les arguments des Leicaistes : on doit «prendre son temps». C’est parfait pour ce qui est posé. Mais ce n’est pas mon approche. Je suis pour «l’instant qu’il faut saisir au vol», le déclenchement décisif. Avant de choisir cet appareil, demandez vous quelle est votre esthétique personnelle.

Pour la photo de genre, la photo de rue, on peut certes se contenter de l’hyperfocale ou un bon f:6,3 au 1/250s en jouant sur les ISO  automatiques, mais on ne sera jamais certain du résultat, surtout avec les critères modernes de besoin de netteté absolue.

Quant au paysage, pas de souci. C’est sûrement le domaine de prédilection des boîtiers M et de leurs optiques.

Bref, quand je reprends mon D4, quel confort, à part le bruit c’est vrai.

Ci-dessous, le M240 et son look incomparable.




Pourquoi autant de succès ?

Franchement, avant cet essai, le M me fascinait comme beaucoup de photographes. J’aurais bien envisagé son achat. Après plusieurs jours en sa possession, je suis plus que dubitatif.

Pour commencer, je regrette qu’aussi peu de sites ou de blogs soulignent ses défauts. Il faut aller sur des sites américains pour lire que certains pros n’ont plus envie de s’ennuyer avec cette visée et qu’ils se tournent soit vers le modèle Q (ou Q2), soit sur le très haut de gamme inaccessible pour la plupart d’entre nous (le modèle S). Dans le genre le Fuji XPro 3 me semble bien plus pratique et nettement moins cher, mais c’est du demi format…

Il n’y a guère que Ken Rockwell, avec son franc parler habituel, qui ose dire que tout est inacceptable dans ce boitier… Mais qui le supporte pour la qualité de ses objectifs !! Le Summicron f:2 de 35 mm ? Vraiment ?

Voici les points qui m’ont arrêté et que je n’ai pas lus dans la presse francophone.

  1. -Le viseur télémétrique serait plus clair ou lumineux. Faux. Le D4 (et avant le D3S et les boitiers pros Nikon ou Canon) sont meilleurs. Plus détaillés et plus précis sur les bords de l’image. En plus, ils ont des loupes qui grossissent légèrement le champ, ce qui se faisait autrefois chez Leica.

  2. -Une chose non dite dans la presse, sauf par Rockwell : On salit tout le temps le viseur avec son nez. De même pour la fenêtre du télémètre avec ses doigts. Incroyable mais vrai  : A un moment, je n’y voyais presque plus rien. Avec une bombe à vitre, tout est redevenu clair. Génial : il suffit de nettoyer sans arrêt pour maintenir le viseur propre. N’était-ce pas possible de mieux protéger l’occulaire ?

  3. -Le viseur télémétrique «laisse entrer les personnages dans le champ» : Faux avec un 35 mm qui correspond à peu près au champ couvert. On n’a que quelques millimètres. Et je ne vois pas l’intérêt. En plus, la partie droite du champ est cachée par l’objectif… Surement vrai avec un 28 mm ou en dessous, mais alors, ce n’est pas assez grossi. C’est ce que dit Rockwell en comparant avec les vieux M argentiques. De plus, les pros visent l’œil ouvert ou entr’ouvert.

  4. -On se concentrerait mieux sur son sujet : Pour moi, je me concentre si je suis tranqullle sur le point, la vitesse d’obturation et si je sais que tout sera parfait techniquement, des basses aux hautes lumières. Sinon, je rate les instants importants. Sauf en nature ou paysage of course.

  5. -Il n’y aurait pas de vibrations au déclenchement. Peut-être. Je n’ai pas vu de différence même à 1,8 où j’opère souvent…

  6. -L’afficheur LCD est indigent : Et même horrible. Pas défini, peu contrasté. On a l’impression que les photos sont ratées. OK, il est vrai que  les pros ne le consultent que très peu. Mais alors, pourquoi aussi peu d’informations techniques ? L’histogramme est minimaliste. Quant aux indications Exif c’est nul. On n’a même pas le diaphragme si l’objectif ne le transmet pas !!

  7. -Pas de traitement hydrophobe, donc, il se salit tout de suite. A l’époque de la sortie du M240, les iPhones avaient déjà tous ce revêtement si pratique.


Encore quelques autres soucis

Avant de continuer, je signale au lecteur de passage que j’adore Leica. La preuve, j’ai eu des projecteurs de diapositives Pradovit Leitz et j’ai actuellement un vidéoprojecteur Leica D 1200. Un boîtier M me tentait, mais après m’en être intensivement servi, j’ai changé d’avis. Et j’en suis désolé.

Voici, pour finir, quelques autres étonnements.

  1. -Le M240 sous-expose très largement. Un bon diaphragme, parfois plus, parfois moins. Ceci me rappelle mon D70 de 2004. Il est vrai qu'ainsi le contraste apparent remonte ! Je n’ose conclure sur le rendu final si particulier à Leitz.

  2. -L’échelle de profondeur de champ, soigneusement gravée sur les objectifs me semble un peu fantaisiste. Ou alors, pour quel cercle de confusion est-elle réalisée ? Si on s’y fit, on risque des mauvaises surprises avec pas mal de flou.

  3. -Le mode Manuel n’est guère favorisé : on ne sait pas à quel diaph on opère (au moins pour le 35 mm que j’avais) et on ne peut en même temps fixer son temps de pose. C’est pourtant le mode adapté aux professionnels non ? Le seul qui permette de composer une image exactement comme on le veut en laissant les ISO automatiques gérer le reste. Il m’a fallu attendre le D3S pour retrouver cette fantastique liberté de se dire : pour ce sujet, je veux tel diaph et telle vitesse. Ce sont bien les paramètres essentiels non ? Ceux qui garantissent sa créativité totale au photographe. (hormis le cadre of course).

  4. -L’ergonomie des photos en hauteur n’est pas garantie. On doit lever un bras pour opérer, ce qui n’est guère pratique pour les poses lentes.

  5. -La tenue en main du boîtier est problématique. Tout au long de ces journées d’essais, j’ai eu peur de le laisser tomber (en plus, il est lourd le bougre). Pas de poignée, même pas de bosselage. Et pour de longues séances, j’avais mal au poignet (mais c’est peut-être l’habitude qui manque).

  6. -Le Summicron 35 mm  f:2 est léger et très beau. C’est bien.

  7. -Mais, il a beaucoup, mais alors beaucoup de reflets (flare). C’est très gênant et incroyable pour une optique de prix.

  8. -Il est bien contrasté et a une légère tendance à «noircir» un peu les zones sombres (je ne dit pas qu’il les bouche, c’est un choix esthétique qui peut être agréable).


Conclusion

Je ne pense pas qu’on puisse se séparer d’un bel ensemble avec un réflex pour le troquer contre un M240.

On peut considérer ce Leica comme un système supplémentaire pour les vues de paysage ou de nature dans lesquelles il excelle. On peut faire de la street photo mais sans trop de plans rapprochés, plutôt des scènes ou des ambiances pour lesquelles la précision du point n’est pas indispensable. De même pour les portaits qui peuvent être formidables s’ils sont posés. Sinon, on n’est jamais sûr de rien.

Au final, le Leica M240 date beaucoup, vraiment beaucoup. Il rappelle des très vieux boîtiers.

Vaut-il son prix ? Est-ce comme le marché de l’art ?

En neuf, évidemmment il n’est pas pour moi. En occasion, comme complément, et pour se faire plaisir, parce qu’on le vaut bien, oui bien sûr. Mais après l’essai, je n’avais plus aucune envie de le garder.

Le rêve, ce serait des optiques Leica montées sur des boitiers modernes et efficaces, comme Nikon ou Canon (ou Sony ou d’autres), mais sans rien perdre en qualité.

Il semble que Leitz ait un peu entendu et répondu avec les hybrides Q ou Q2 qui bénéficient eux - enfin - d’un autofocus et ne sont pas hors d’âge dans leur conception. Malheureusement, ils sont dotés d’un viseur électronique (que je déteste) mais qu’il faudra bien que je teste un jour, quelque fois que…

Ceci dit, c’est frustrant de voir toutes ces superbes photos réalisées avec un boitier M si peu pratique… A tel point que je me demande dans quelles conditions et avec quel post traitement (surtout pour les nors) elles sont présentées.

Je veux bien admettre que ceux qui s’en servent si bien ont certainement du talent.

Plus que moi sûrement…


 

Une promesse…

une déception…

Quelques comparaisons 

Le capteur du D4 possède 16 Mégasites (pixels), celui du M240 en a 24. Mais, sauf en cas d’agrandissement très fort, la différence est peu visible.

J’ai fait une série de tests avec les deux appareils, réglés à f:11 et à une vitesse semblable. Attention, c’est juste pour se faire une idée, je n’ai pas de protocole scientifique, d’autres le font très bien).

Les différences sont flagrante et étranges (vous pouvez cliquer pour une image en HD, attention, ells sont lourdes). Le D4 prenait des clichés en RAW (NEF) et le M240 en DNG. Le développement a été réalisé dans Capture One 11 brut sans aucune correction.


A gauche, le M240 et son 35 mm, à droite, le D4 et mon Sigma Art f;1,4 de 35 mm.





  













Sur ce contrejour de 3/4 les différences sont énormes… Il y clairement du halo (ou du flare) sur le Leica. La photo n’est pas terrible. Sur le D4, on est parfait. Je n’ose imaginer que les antireflets de Sigma soient beaucoup plus efficaces. Mais, à quoi attribuer cette supériorité évidente ?


















Ce franc contrejour se passe de commentaire. Le reflet est violent… Sur le D4, à droite, juste un léger point.


Ci dessous, un paysage urbain: En haut le M240, en bas le D4


Le M240 sous expose fortement, d’où une impression partielle de meilleur contraste.

La brillance est meilleure sur le D4.

La définition sur les lointains  est un peu meilleure sur le M240, car il y a 24 Mpixels.



Dans cet exemple, le M (en haut) affiche des noirs plus intenses dans les parties sombres (et aussi moins détaillés). Les fleurs se détachent mieux. Le point est sur les dernières fleurs, toujours à f11. On pourrait dire que le M donne un rendu plus «pêchu» (que l’on peut modifier en post traitement of course). A l’inverse, le D4 est plus peut-être «vrai». Ce ne sont que des points de vue.


L’exemple qui suit est fort étrange : C’est en apparence une situation simple: pas de contrejour, pas de reflets, pas de grands contrastes, juste un équilibre de couleurs assez subtil :



Le Leica rate complètement la photo. Un reflet terrible et des couleurs délavées. Pas de contraste et, pour une fois pas de sous-ex gênante. Au contraire, le D4 offre un sans faute parfait. Je n’ai pas de conclusion sur ce qui s’est passé mais je ne pense pas que l’on puisse incriminer l’objectif, car, sur d’autres sujets, il s’en est bien sorti.


C’est quand même un bien bel objet !…



Autres infos utiles et belles photos :

Vous aurez tous les aspects positifs sur le M240… Et quelques critiques :

FAE  (bons articles fort bien rédigés)

Photo et Mac (assez critique)

Le site des Leicaistes Summilux

Le site Imaging Ressources : beaucoup d’infos

Le site Phototrend

Et bien sur, toujours Nikon Passion avec des pages sur Leica.