Le caducée est un symbole très ancien et qui se prête à de nombreuses et complexes interprétations. En voici quelques rudiments pour les personnes intéressés par les mythes et les anciennes représentations et bien sûr pour les communicants, c'est-à-dire les professionnels de la communication.
Dans certains cas, j'ai indiqué quelques renvois vers des sites intéressants, pardon pour les liens qui disparaissent..
Le mot "caducée" viendrait du sanskrit Kàrù signifiant chanteur ou poète.Il aurait été repris par le grec dorien sous la signification "hérault" ou "messager officiel" qui officiait pendant les tractations diplômatiques. Le mot latin "caduceus" signifie quant à lui : "bâton (de pélerin)". pour certains auteurs, il semble que le dieu égyptien Thôt (à tête d'Ibis), inventeur de l'écriture et des arts, peseur des âmes qui accompagnait le passage de la vie vers la mort et était également le messager des dieux ait pu en avoir un aussi. La trace en serait le premier rôle d'Hermès, c'est-à-dire Hermès psychopompe (celui "qui conduit les âmes"). Ne pas confondre avec son appellation donnée au IIIème siècle par les Grecs (Trismégiste, c'est-à-dire "Trois fois grand" !).
Ce surnom viendrait du fait qu'Hermès aurait vécu une vingtaine de siècles avant notre ère pour inventer l'astronomie (et les cosmogonies) et se serait réincarné une première fois pour la philosophie et la médecine puis une seconde fois pour aboutir au grand oeuvre des Alchimistes c'est-à-dire, la "révélation" de la théorie macroscope/microscope et de la similitude entre l'homme et l'univers, puis sa transformation physique et mentale personnelle en prélude à la connaissance universelle Il est évidemment à la source duale de l'hermétisme (obscurité, incompréhension) et de l'herméneutisme ou de l'herméneutique (compréhension profonde des textes religieux et plus tard théorie générale de la compréhension ou de la connaissance) Hermés est peut être le plus abouti des "demis" dieux, c'est-à-dire, parfait et imparfait, positif et négatif, bienveillant et roublard, synthèse jamais accomplie des deux tendances opposées de l'être humain : l'ouverture vers l'autre, la générosité et la fermeture, l'intérêt.
Sur ces questions et la manière dont Hernès est régulièrement cité dans la littérature grecque, voir un texte érudit qui recense avec beaucoup de précision (plus que moi) les apparitions d'Hermès chez les auteurs antiques.On y lira avec intérêt le passage d'Hermès à Mercure et la complexification progressive de ce dernier, de plus en plus proche de son devancier, détenteur d'une immense tradition ésotérique.
Voici des représentations classiques d'Hermès portant le caducée (vase grec, statue et pièces grecques):
La pièce à l'effigie d'Hermès ci dessus date de 1481 av. JC. Le caducée est clairement visible à droite. Autres infos.
Une pièce plus rare, le haut d'un caducée avec les deux serpents bien visibles (les ailes n'apparaissaient pas) :
Enfin, la représentation ci-dessous de la déesse romaine Félicité (Felicitas) montre que les femmes arboraient aussi le caducée (ici avec la corne d'abondance) !! :
Et une autre de Mercure, son équivalent chez les Romains :
Il en existe une superbe version à Lyon, au début du passage de l'Argue à côté de la Place des Cordeliers. On voit parfaitement le pétase, le chapeau du voaygeur.
Et un autre à Londres :
On trouve de nombreuses pièces romaines présentant des caducées, même en présence de Jules César !
Sandro Boticelli en a représenté un superbe dans son tableau "Le Printemps". Hermès est à gauche, on distingue le caducée dans la frondaison.
Mais, avant lui, Michel-Ange, sur les plafonds de la Sixtine, avait représenté le serpent de la connaissance dans une position évoquant le caducée :
Le premier détenteur de la "baguette d'or" serait Apollon, le demi-frère d'Hermès. Son caducée n'arborait qu'un seul serpent et il l'aurait cédé à son fils Asclépios (Esculape pour les Romains) après de sombres histoires de vol de troupeau. Quant à Hermès, son premier attribut était la lyre qu'Apollon lui acheta tant elle le ravissait. Mais ensuite, Apollon aurait aussi voulu échanger ce même bâton contre la flûte qu'Hermès avait également inventée et fabriquée. Là se trouve l'origine du caducée d'Hermés et du risque de confusion avec celui d'Esculape
Selon la légende, Hermès (Mercure pour les Romains) découvrit la vertu magique du bâton d'or cédé par son frère Apollon lorsqu'il tenta de séparer deux serpents en lutte. Ceux ci s'enroulèrent en sens inverse autour de la baguette. Un spécialiste avance même qu'avec certains serpents (arboricoles !!), ceci est assez normal Par la suite, la symbolique s'installa et le caducée accompagna toujours Hermès. Il réalise l'équilibre de tendances antagonistes autour de l'axe du monde ou de l'axe de vie (les serpents représentant le feu et l'eau, la baguette la terre et les ailes le ciel). Le caducée devint un symbole de médiation et de paix porté par le "Messager des Dieux" et aussi, pour les initiés, le guide des êtres dans leurs changements d'état. D'où le lien déjà souligné avec le dieu Thôt au travers du nom d'Hermès psychopompe, chargé d'accompagner les morts et d'assurer leur passage vers l'au delà.
Les autres attributs d'Hermès sont bien connus (dialogue, commerce, magie et vol). D'où la bonne réputation de la communication et des "communicateurs" qui ont le même dieu que les marchands, les magiciens et les voleurs !!
La présence fréquente des ailes sur les deux serpents, à l'extrémité du bâton sympolise aussi le côté messager avec les dieux. On notera que les traditions indiennes et/ou chinoises est en coïncidence avec le thème du dragon (serpent) ailé, visible à l'entrée de tous les temples. Certains commentateurs vont jusqu'à prétendre que les ailes solaires égyptiennes seraient un caducée vu du dessus (comme le Christ de Dali…).
Ce qui est certain, c'est que ces ailes ont évidemment une valeur symbolique qui s'est perpétuée fort tard. Que l'on songe au Lion ailé, symbole de Venise.
J'ai découvert au Louvre, puis sur le web une magnifique représentation d'un caducée de 2150 avant JC sur un "gobelet à libations" du prince Gudéa de Lagash (Sumer), certainement un des plus anciens au monde : En voici une photo de qualité moyenne, parce que prise sans autorisation…
N'est-il pas magnifique ?
Gudéa fait le pont entre les représentations occidentales (grecques puis romaines via les Etrusques) et orientales, indiennes, chinoises et égyptiennes.
Dans l'approche indienne, sanskrite, le baton est l'axe du monde, autour duquel va monter ou descendre l'énergie vitale et cosmique de la Kundalini (traduction : serpent de feu, mais aussi manifestation du Chi chinois, du Ki japonais, du Saint-Esprit chrérien ?). Les deux serpents symboliserait le passage, un pour qu'elle arrive, l'autre pour qu'elle parte. Dans cette tradition, reprise par le Yoga et le Tantrisme, le caducée et la représentaion parfois très précise des serpents et de leurs 7 intersections peut illustrer les roues du corps, les chakras (rappelons que ce mot sanskrit très chargé d'ésotérisme, signifie "roue"). On aurait ainsi, de bas en haut : le périnée, la zone génitale (attention, pas les organes sexuels, faux sens classique) , le plexus solaire, la région du cœur, la région de la gorge, la région du front, la fontanelle au sommet du crâne (le chakra couronne). La kundalini, dans la tradition herméneutique serait la "Force forte de toutes les forces"… Elle serait le principe féminin de Dieu, d'où peut-être la métaphore des serpents de la connaissance. Le caducée signifierait à la fois bien être physique au plus simple niveau d'interprétation et harmonie céleste, vacuité, plénitude, ouverture au monde pour le plus haut.
En voici une représentation artistique autant qu'ésotérique.
Sur ces questions passionnantes sur les chakras, le chiffre 7 et les innombrables interprétations qu'ils suscitent depuis des millénaires, je conseille l'analyse sérieuse à laquelle se livre Bernard Auriol, médecin psychiatre et psychanalyste.
En complément, pour en revenir à la statue de Gudéa, voici le "déroulé" , dessiné avec un commentaire sur la "copulation des vipères".
L'interprétation sexuelle est très fréquente dans toutes les traditions, le baton étant évidemment phallique donc masculin et les serpents qui l'entourent illustrant le principe féminin. Certains auteurs y voient l'universalité du Yin et du Yang qui réunit le principe masculin et féminin mais aussi la mort et la vie :
Voici trois représentations du caducée plus récentes. A gauche une moderne et assez ésotérique, à droite, une du Moyen Age (symbolisant celui de Mercure). En dessous, celle de l'ordre des Rose-Croix, très élaborée :
Et une autre représentation, aussi d'origine ésotérique :
En termes plus contemprorains, on peut aussi signaler que les deux serpents enroulés évoquent une double hélice qui correspondrait évidemment à l'ADN !! Ou encore à une méïose !! (avis aux amateurs : pour trouver d'autres symboliques biologiques ou cosmogoniques, n'hésitez pas !!!). En voici un exemple sur un site qui traite de la fertilité !
Une autre interprétation insiste sur l'accouplement des serpents et la symbolique de la fécondité. Certains vont jusqu'à dire que le caducée est fait de deux serpents accouplés sur un phallus en érection ! Quoi qu'il en soit, le caducée semble l'une des plus anciennes images indo-européennes. Mais il rappelle aussi certaines représentations aztèques ou les dragons ailés chinois déjà cités. Ceux que cela intéressent peuvent voir le dessin très ésotérique - et pas du tout historique (!) sur le site Maudragon. Des études plus érudites cherchent des caducées chez beaucoup d'autres divinités, comme les Celtes par exemple (César parle du Mercure Gaulois) ou se préoccupent du genre du serpent, peut-être une couleuvre plutôt qu'une vipère).
Les Alchimistes n’ont pas manqué de donner eux aussi leur explication du caducée, puisqu'Hermès est aussi leur dieu : les deux serpents représenteraient les principes antagonistes (soufre/mercure, fixe/volatil, humide/sec, chaud/froid) qui doivent s’unifier dans l’or unitaire de la tige/axe du monde. De ce point de vue l'alchilmie vise la transformation intérieure, l'initiation et pas la vulgaire transformation du plomb en or qui n'est qu'un préalable, une cause facile à saisir pour les non initiés.
Vers le 16e siècle (ou peut-être avant)., une confusion est apparue avec le bâton (qui est donc aussi un caducée !) d'Esculape, et peu à peu, ce caducée a quitté le domaine de la médecine militaire auquel il avait été d’abord cantonné comme symbole de la paix, et il est devenu l'emblème de la profession médicale dans de nombreux pays (avec des petites variantes).
Asclépios est en principe représenté debout tenant à la main un bâton de pèlerin, symbole du voyageur universel, mais avec un seul serpent enroulé autour du bâton. Ce serpent - comme tous les autres - est symbole du savoir : En s'insinuant dans les fissures de la Terre, il était sensé connaître tous les secrets, les vertus des plantes médicinales, les mystères de la mort, le temps qu'il reste à vivre, etc. On peut dire aussi que le serpent se renouvelle constamment par la mue et apporte une symbolique fascinante de renaissance et de jeunesse perpétuelle On abandonne sa vieille peau pour renaître à soi même. Parfois, on va jusqu'à se nourrir de son ancienne enveloppe.
Dans le mythe, Asclépios vit un serpent qui se dirigeait vers lui, il lui tendit un bâton. L'animal s'y enroula. Asclépios frappa le sol et l'assomma. Un second serpent apparut, tenant dans sa gueule une herbe avec laquelle il rappela le premier à la vie. C'est ainsi qu'Asclépios eut la révélation de la vertu des herbes médicinales. Au caducée de cette première légende est venue s'ajouter le miroir, symbole de la prudence et de la sagesse (ou peut-être vieille trace de la franc-maçonnerie ?). Une enquête rapide sur l'internet montre qu'il existe pas loin de 3000 représentations en 2002 et plus de 12500 en 2009 recourant au caducée (rien qu'en langues francophones !! On notera que celui d'Hermès (avec deux serpents l'emporte TRES largement) sur celui d'Esculape et que de nombreux sites médicaux arborent d'ailleurs plutôt le premier plus ou moins stylisé mais toujours sous forme dialectique
Le caducée peut encore représenter la lutte entre les instincts et la maîtrise de soi ou les maladies et la santé, avec une issue forcément spirituelle (les ailes). Le serpent (unique) s'enroule autour du bâton qui symbolise l'arbre de vie, pour signifier la vanité domptée et soumise, son venin se transforme en remède, la force vitale pervertie retrouve la voie verticale montante qui permet la seule véritable guérison, celle de l'âme. Le caducée apparaît alors comme un symbole privilégié de l'équilibre psychosomatique, de l'harmonisation des désirs, de la mise en ordre de l'affectivité, de l'exigence de spiritualisation/sublimation qui président non seulement à la santé de l'âme mais codéterminent la santé du corps en éradiquant l'hubris.
Mais pour nous, communicateurs et communicants, Hermès/Mercure symbolise avant tout le dialogue, la dialectique, l'opposition des contraires, l'énergie, l'initiation, l'initiative créatrice, la technique voire le bricolage l'intermédiation, l'interprétation et la connaissance, ce qui n'est déjà pas si mal !!!
En tant que communicant, je me revendique de la lignée d'Hermés. Et vous ?
JLM, 2002, 2005, 2009