LE MAS DE L'ESPINAS

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Identité, Valeurs, Culture du Geste, dépassement…

Et transcendance…


Après la célébration de la réouverture de la cathédrale ces 7 et 8 décembre 2024, nous tenons à rendre un grand hommage à Philippe Villeneuve, l’Architecte en chef des Monuments historiques en charge de la restauration de Notre Dame de Paris., sans oublier son collègue Régis Martin.  

On y associera notre admiration aux compagnons bâtisseurs, dont à notre micro-échelle nous avons pu apprécier le savoir faire au  cours de toutes nos années de restauration. Nous avons décrit leur travail.

C’est en grande partie grâce à Philippe Villeneuve et son équipe que les errements sur le « geste architectural » réclamé par nos élites après l’incendie du 15 avril 2019 a pu être évité et la flèche reconstituée à l’identique dans son miracle de proportions et d’harmonie.

Les visiteurs de l’Espinas s’en souviennent sûrement : au cours des visites, lorsque je parle des charpentes, des voûtes, et surtout des porches, je fais référence au grand Eugène Viollet le Duc. Et depuis 2020, j’ai insisté  encore davantage sur son rôle majeur dans la sauvegarde des monuments historiques face à l’ignorance et à l’arrogance des cuistres qui voulaient empêcher la reconstruction de la flèche conçue par cet architecte de génie et lui substituer un délire narcissique. Pour avoir lu et relu son Traité d’Architecture, en particulier au cours de la rédaction  du livre sur l’Espinas, j’ai pu admirer son souci de la compréhension technique la plus fouillée, les profondes réflexions sur les structures et les équilibres des édifices, mais aussi sur le contexte de leur conception et de leur construction. Viollet le Duc agissait d’abord en archéologue pour retrouver l’esprit du temps. La flèche du XIIIe n’était pas au niveau esthétique du reste de l’édifice comme l’affirme sans ambages Villeneuve, et pour s’en convaincre, il suffit de regarder les flèches des autres grandes cathédrales gothiques : c’est ce qui a conduit Viollet le Duc a concevoir sa nouvelle flèche, de surcroît incroyablement bien construite.

Au fil de ses rares interventions Philippe Villeneuve montre son amour pour Notre Dame, sa passion dévorante pour la connaître, la comprendre et la restaurer.

Tout ce qui a été dit au fil de ces cérémonies a déclenché un profond écho en nous.

En découvrant la voûte à marguerite du four à pain, les visiteurs demandent souvent pourquoi avoir mis autant de soin pour quelque chose que personne ne voit.  Exactement comme les artisans et compagnons qui ont ont œuvré sur Notre Dame ont cherché la finition la plus parfaite pour d’infimes détails que personne ne verra jamais. En entendant les réponses des spécialistes, on croyait entendre nos propos : les compagnons le font pour se dépasser, pour accomplir le beau geste et s’accomplir eux-mêmes. Pour chercher ce qui nous dépasse, c’est-à-dire une certaine forme de transcendance dans l’humble beauté de la perfection. Comme le dit Edouard Cortès, nous l’avons reconstruite mais elle a nous reconstruits.

Tout le contraire du délire des « créateurs » qui voulaient « apporter » quelque chose à l’édifice, la trace de leur propre vanité insignifiante.

Il faudrait presque ajouter quelques paragraphes à notre  livre pour mieux expliquer tout cela et monter que d’une œuvre mondiale majeure comme Notre  Dame de Paris à une  modeste ferme des Cévennes, on retrouve le même état d’esprit, la même humilité, la trace du même génie humain.

Notre Dame de Paris

NOTRE RELATION AVEC

NOTRE DAME DE PARIS


En tant que Parisiens, Annick et moi allions assister aux concerts d'orgue du dimanche de Pierre Cochereau.

Bien que tout jeune (!), j'avais assité au huitième centenaire de la cathédrale en 1963 et aux grands concerts qui l'avaient accompagné.

Nous n'avons en réalité  jamais quitté Notre Dame.

A chaque séjour à Paris, à chaque date importante, nous y repassons, d'où le stock élevé de photos dont nous disposons aujourd'hui.


DE NOTRE DAME A L'ESPINAS

Beaucoup de choses dans l'extraordinaire  restauration  de Notre Dame de Paris font écho avec ce que nous avons connu - à une échelle infiniment moindre bien sûr à l'Espinas.

En premier lieu, parce que nous sommes nous aussi classés "au titre des Monuments historiques" depuis le 24 octobre 1988. Et à ce titre (encore une fois à notre échelle) nous faisons partie du même monde. Heureusement, nous n'avons pas connu de catastrophe similaire, mais il nous a fallu résoudre des quantités de problèmes de même nature (encore une fois à notre échelle microscopique…).

Au plan architectural, l'Espinas présente maintes prouesses architecturales explicitées dans notre livre. En voici une simple liste :

- La voûte inclassable de la cuisine…
























- Les voûtes surbaissées des étables…

- Les porches à "retour d'angle" ou plutôt les "sommiers à queue engagée dans la muraille" pour reprendre le vocable d'Eugène Viollet le Duc (p.450 de son Dictionnaire…)












- Les autres caractéristiques rares comme les claveaux à crossettes, les chanfreins, les filets, etc.

- La cachette dissimulée dans une voûte.

- La clé de voûte à marguerite du four à pain.










- Les charpentes du XVIIe siècle.

Il nous a fallu résoudre des quantités de problèmes de toutes natures :

- La compréhension des charpentes et les interventions minimalistes pour les entretenir.

- Les interrogations sur le choix des méthodes de restauration et les décisions difficiles en cas de changement de matériaux.

- Les évolutions nécessaires ont toutes été faites dans la ligne de Viollet le Duc : comprendre la culture et la logique des bâtisseurs.  Sa célèbre phrase (qu'il a appliquée à merveille à la flèche de Notre de Paris)  nous a libéré de nos derniers doutes :  « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné.».

Fort de son autorité, nous nous sommes autorisés (avec l'accord des Monuments historiques) à refaire le porche nord dans l'esprit du XVIIe en remplaçant un linteau posé dans l'urgence de l'été 1914 par un profil surbaissé en trois pierres directement inspiré des cinq autres, c'est-à-dire avec crossettes, filets, signatures du tailleur (au sens résolution géométriques d'un raccord de surfaces planes et aiguës  et pas à celui de paraphe ou d'initiales). La seule infidélité que nous avons été obligés de faire a été de se dispenser du "retour d'angle" (ou "sommier à queue engagée dans la muraille"…) car il eût fallu démonter tout le mur au-dessus…

Dans notre livre sur l'Espinas, nous écrivions : "Faut-il insister pour décrire à quel point cette phrase de Viollet Le Duc nous a inspirés ? C’est exactement ce que nous voulions faire (bien modestement) du porche. Le rétablir dans un «état complet» qui bien que n’ayant jamais existé traduirait l’esprit du bâtiment et surtout l’esprit du temps des concepteurs, leur quête d’une forme de perfection qui élève les âmes. Nous retrouvions ainsi un des thèmes centraux de l’œuvre de Victor Hugo (n’oublions pas que c’est grâce à son roman éponyme que Notre Dame de Paris était revenue en grâce) avec le thème du dépassement de soi dans la quête de la Beauté, ou pour le dire autrement de ce qui nous grandit." On comprend peut-être mieux ainsi notre émotion devant la "résurrection de Notre Dame"











La question s'est reposée à propos d'un appui de fenêtre déposé vers 1650 que nous avons replacé 70 cm plus bas.

Concernant les menuiseries nous avons demandé  à notre menuisier de réaliser des portails à lames inégales ou trapezoidales qui respectent le fruit du bois… Il s'en souvient encore…


Enfin, l'Espinas amène à se poser les mêmes questions (à sa micro-échelle encore une fois) :

En premier lieu, en cherchant des réponses à la question lanciante qui revient au cours de chacune de nos visites : pourquoi les bâtisseurs ont-il cherché à ce point la perfection dans un lieu si reculé que personne ne connaît ou ne connaîtra ? Parfois la question surgit en termes lapidaires : pourquoi s'être à ce point compliqué la vie ? Pourquoi cette complexité, ce soin, et les "surcoûts" (exprimés en termes modernes) qui vont avec ?

Avec nos visiteurs, nous en arrivons presque toujours aux mêmes réponses que celles qu'ont apporté les compagnons à l'issue du chantier : Pour faire quelque chose de plus grand que soi, qui nous dépasse, qui donne du sens , du sens à nos vies. Peut-être aussi (et sûrement dans l'esprit du temps) dans l'espoir d'une transcendance au cœur du catholicisme : se dépasser dans sa vie terrestre et se rapprocher du Paradis.

Sur un autre terrain, on retrouve la même problématique vis-à-vis du recours aux artisans, aux compagnons et à leur extraordinaire technique, mais aussi à leur culture du travail bien fait, et là encore et toujours du dépassement de soi.


Bref, en suivant intensément cette résurrection de Notre Dame de Paris, nous avons revécu les grandes étapes de nos interrogations, de nos immenses  doutes et de nos modestes réussites…


Ci-dessous, une photo de la croisée de transept que nous avions prise bien avant l'incendie et son état après la reconstruction.

Les deux grandes roses et l'appui de la flèche juste au-dessus de la croisée de transept.

Et pour clore cette évocation, un de nos repas dans la péniche restaurant longtemps installée devant Notre Dame dans les années 2000.








QUELQUES REPERES


- Naturellement l'œuvre de Victor Hugo  (nous l'aimons tellement que nous sommes allés vivre son bicentenaire à Guernesey en 2002).

- Le rayonnement mondial de Notre Dame lui est dû en très grande partie. C'est son roman qui a ensuite inspiré les films, la comédie musicale, le dessin animé de Walt Disney, les jeux informatiques, etc.

Voici des liens vers des interviews intéressantes sur la reconstruction de la cathédrale.

- La célèbre intervention du général Georgelin à propos de Philippe Villeneuve au moment du choix de la flèche et son "Qu'il ferme sa gueule".

- Séries d'interviews de Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques.

Une itv très personnelle de PV

Une intervention technique sur le chantier :

Un colloque :

Une magnifique intervention de l'architecte des MH, Régis Martin, sur les flèches gothiques :

Une table ronde passionnante avec Sylvain Tesson, la peintre Laurence Bost, l'écrivain charpentier Edouard Cortès et le journaliste Luc Antoine Lenoir :

La dernière visite de chantier avec de beaux témoignages des artisans et compagnons (un peu long mais passionnant).

L'excellent documentaire  : Le chantier de leur vie

Un autre documentaire sur les charpentiers de Notre Dame