JOURNALISME ET VIOLENCE
JOURNALISME ET VIOLENCE
Le processus d’identification/distanciation n’est ici qu’esquissé dans ses grandes lignes en gommant une partie de sa complexité (par exemple les degrés et les genres ). Sa dynamique induit un frein naturel à la valeur d’exemplarité que l’intégrisme peut tirer des scènes de violence. L’antidote médiatique n’est pas la représentation forcée de l’ultraviolence telle que Kubrick l’a illustrée dans Orange mécanique mais un encouragement à faciliter la croissance et la diversification de l’identification des spectateurs pour les aider à renforcer leur distanciation (et à réduire consécutivement leur identification trop systématique). Si la théorie risque d’apparaître un peu complexe, la solution pratique est simple : il suffit de développer la création de médias susceptibles d’exploiter l’humour et la satire sous toutes leurs formes. Autrement dit, il faut montrer sans hésitation les violences de notre monde (car si l’actualité la censure, les films s’en chargeront) et compenser le risque de traumatisme ou d’exemplarité agressive par des exercices de distanciation/identification que la dérision suscite et renforce.
Paradoxalement, on peut se demander si le succès mondial de la télé réalité ne correspond pas, malgré ses dérapages en tous genres, à ce besoin psychologique de se distancier et d’élargir ses sphères identificatrices pour compenser les tensions subies le reste du temps dans la société globale. En somme, en cultivant les phases d’identification et de distanciation des spectateurs, la si critiquée télé réalité agirait contre les repliements identitaires et les intégrismes de toutes sortes. C’est peut-être ce que ces derniers ont compris, d’où leurs actions désespérées pour retarder l’échéance de leur disparition.
JLM
Article paru dans le programme officiel du Festival international du Scoop et du Journalisme d’Angers en 2004.
Novembre 2004
La violence médiatisée : information ou émotion ?
La représentation de la violence dans les médias fait l’objet de critiques récurrentes, notamment lorsqu’il s’agit de terrorisme : le choc psychologique qu’elle suscite serait dangereux parce qu’il empêcherait la réflexion sur ses causes politiques, économiques ou sociales. En poussant ses spectateurs à s’identifier (plus ou moins) aux victimes et à leurs souffrances, l’image photographique ou télévisuelle serait un obstacle à la prise de distance indispensable à toute analyse rationnelle.
Il est difficile de rendre compte de cette dualité un peu trouble entre l’émotion que ressentent ceux qui s’effraient des images de violence et cherchent néanmoins à en voir toujours plus (pour la vérité ou la liberté de l’information bien sûr) tout en se défendant de succomber à un quelconque voyeurisme. Depuis des millénaires, la rhétorique assimile l’image aux pulsions et les commentaires à la raison. Les recherches modernes (par exemple sur les « Trois cerveaux ») ont rendu caduque cette vieille dichotomie réductrice en démontrant que l’émotion constituait aussi de l’information. Pour aller plus loin dans la compréhension de cette ambiguïté et découvrir qu’elle comporte sûrement en elle même son propre antidote, il faut recourir à un concept au cœur de cette ambivalence : la distanciation et son double inversé, l’identification. La représentation visuelle de la violence active alternativement un pôle identificateur (empathie, compassion pour les victimes ou leurs proches, etc.) et distanciateur (rejet des auteurs des violences et de leurs inspirateurs) . Présentée ainsi, cette théorie conforterait les attitudes des médias anglosaxons qui présentent sans état d’âme les scènes les plus dures. En reprenant le même mécanisme, mais inversé, l’influence de la représentation de la violence dans les milieux terroristes s’explique également : les « sympathisants » des terroristes/intégristes se distancient à ce point des victimes qu’ils ne « voient » pas leurs souffrances tellement ils s’identifient à leurs bourreaux et aux causes qu’ils sont censés défendre. Ils se situent dans l’unanimité contre les victimes émissaires (innocentes) selon le modèle que René Girard a largement explicité.