LES MINISTRES ET LES ORDINATEURS…
LES MINISTRES ET LES ORDINATEURS…
Septembre 2000
Le ministre et les ordinateurs
Dans son effort de "modernisation" ou de "rationalisation" de l’Éducation nationale, notre ministre craint-il d’aller au bout de sa logique ? Parce qu’enfin le sujet qu’il serait temps d’aborder concerne l’amélioration de l’efficacité du système éducatif, pour ne pas dire sa productivité. La tendance à réclamer toujours moins d’élèves par classe conduit à un renchérissement de moins en moins supportable du coût du système.
Faudra-t-il attendre de devoir choisir entre des profs en plus grand nombre ou des infirmières supplémentaires dans les services de fin de vie ?
Les enseignants ne se rendent pas compte qu’en s’en tenant à des revendications quantitatives - du type "toujours plus de postes" - ils dévalorisent leur travail et leur statut : plus de profs peut-être si la collectivité y consent ; mais sûrement de moins en moins payés. Et s’ils sont moins rémunérés, on devra être moins exigeants en terme de compétences et de disponibilité. Équation infernale dont on ne sortira plus : beaucoup de pays étrangers nous en donnent le triste exemple, leurs enseignants ne représentent plus grand chose dans l’échelle de la considération ou des valeurs humaines et sociales. Faut-il en arriver là au motif du "Toujours plus" qui semble réunir, quoique sur une base bien mince la plupart des syndicalistes enseignants, des élèves et de leurs parents.
Je me suis tellement investi dans les questions de "nouvelles technologies d'enseignement" (NTE) que je supporte assez mal les redites, les redécouvertes de l'Amérique de nos «décideurs» qui se montrent aussi ignares que peu originaux. Mon article de janvier 1982 avait déjà dit tout ceci, et la préparation du plan "Informatique pour tous" aurait pu le mettre en oeuvre. Malheureusement, le conformisme, le manque de clairvoyance et de courage ont toujours empêché toute tentative de modernisation d'aboutir. Il faudra sûrement attendre que les changements soient imposés de l'extérieur, à chaud et dans la douleur pour que le vieux système évolue... ou meure.
Cet article était destiné à un grand hebdomadaire.
Pour en sortir, il faut briser le mur du silence fait autour des NTE et affirmer sans complexe que c’est par un recours massif aux ordinateurs que l’Éducation nationale s’inscrira dans la modernité en conservant son rôle moteur d’une société démocratique et républicaine. Avec les NTE, elle augmentera son efficacité en matière de lutte contre l’échec scolaire (notamment en lecture), diminuera son coût budgétaire global (moins de postes) tout en réussissant à payer mieux ses enseignants (en utilisant mieux leurs compétences). Mais cette question, personne ou presque n’ose l’aborder de front alors que le monde du tertiaire bascule dans la modernisation qu’ont connu avant lui les secteurs primaire et secondaire. On connaît les préventions du système scolaire contre l’usage des ordinateurs ; le sabotage permanent et systématique de l’institution contre les différents "plans informatiques" l’a amplement prouvé. On préfère oublier le taux d’échec plutôt que de se poser des questions dérangeantes, on caricature l’usage des machines en prétendant qu’elles fabriqueraient une génération de zombies. Les pilotes qui sont formés avec des recours massifs aux ordinateurs (on appelle cela des simulateurs) ne sont-ils pas efficaces ? Les médecins sont-ils moins compétents quand ils ont appris à soigner des malades virtuels simulés par des ordinateurs come ceci se pratique depuis longtemps ?
Il est temps d’ouvrir le débat sur des questions taboues, il est urgent de prendre ses distances avec la pensée toute faite quitte à déranger à droite, à gauche et partout.
Article paru dans Le Monde de l’Education