L AURA Plantation est une des exploitations qui se revendiquent comme créoles en Louisiane.
En Louisiane, il n’en est rien. Au moins dans les présentations officielles. Historiquement, c’est le nom donné aux personnes d’origine étrangère (européenne) nées sur le territoire américain. L’étymologie ne nous sera pas d’un grand secours car le terme créole serait un dérivé de l'espagnol «criollo» ou du portugais «crioulo», signifiant «indigène».…
Et c’est là que tout se complique. En principe, au bout d’une génération d’implantation, tous les colons Blancs des XVII ème et XVIII ème siècles (essentiellement des Français et des Espagnols) auraient dû devenir créoles, un peu comme les Pieds Noirs en Algérie quand celle ci était française. Mais, face aux Anglo-saxons qui sont venus s’implanter en Louisiane à partir de 1865 après la Guerre de Sécession, les descendants des colons européens ont voulu se regrouper pour affirmer leur identité et une certaines forme d'antériorité de peuplement. Le conflit entre leurs coutunes aristocratiques et les manières de faire des Yankees était inévitable même s’il resta le plus souvent larvé. Ces créoles louisiananis ont aussi voulu affirmer, leur appartenance à la race caucasienne blanche, sous entendue comme «pure» pour se différencier des métis. C’est ainsi qu’au XIX ème, on a séparé les créoles (sous-entendu blancs) des «créoles de couleurs».
Créole de Louisiane…
La plantation Laura est donc une plantation «créole blanche» appartenant à des descendants des premiers colons européens. En aucun cas, une propriéte appartenant à des métis comme le terme créole a trop tendance à l’induire pour un public francophone. A cet égard, il n’y a pas de différence fondamentale entre elle et Whitney, Madewood ou la quasi totalité des autres plantations esclavagistes, toutes tenues par des descendants de colons européens.
Ceci rappelé pour se conformer à l’histoire officielle de ces créoles blancs, il faut évoquer une autre réalité :
Très tôt dans l’histoire de la Louisiane, c’est-à-dire dès la fin du XVII ème siècle, un mélange des populations amérindiennes et blanches s’est opéré avec la naissance des premiers métis. Plus tard, mais dans des proportions bien moindres, il y a eu des métissages entre Blancs, Noirs et aussi métis. Dans le chapitre consacré à l’historique, cette question est examinée plus dans le détail. En voici néanmoins un rapide rappel :
Au XVIII ème siècle, les Blancs, paysans ou militaires étaient dépourvus de femmes européennes, ou du moins, celles ci se trouvaient en nombre bien inférieur. D’où des unions avec des Amérindiennes, plutôt facilités par les chefs des tribus autochtones et l’église catholique si ceux-ci étaient christianisés. Les enfants étaient donc des métis. Certains bien considérés si les parents se mariaient à l’Eglise, d’autres vus comme des bâtards (cf. notre historique et ses sources).
C’est ainsi qu’au fil du temps, ces premiers «créoles» (métis) ont pu monter dans la hiérarchie sociale et devenir à leur tour propriétaires, par mariage, héritage ou par leur travail.
Avec les Noirs, la situation était différente : quand un Blanc faisait un enfant à une Noire, celui ci restait en principe toujours un esclave. Mais il y eut des exceptions, notamment avec la coutume du «plaçage» des femmes de couleur qui pouvait assurer à leurs enfants d’être affanchis et parfois de devenir propriétaires.
Au fil des générations, et après l’abolition de l’esclavage, il y eut évidemment des métissages de toutes sortes, ce qui constitua cet extraordianire melting pot louisianais. Mais tout ne fut pas simple, et les défenseurs d’une créolité blanche se manifestèrent durant la plus grande partie du XIX ème siècle Comme nous le verrons ailleurs, cette histoire déjà difficile s’est encore compliquée avec la présence et le développement des Acadiens devenus Cajuns dès la fin du XVIII ème siècle. En toute logique, leurs enfants, nés sur le sol louisianais auraient pu prétendre être créoles eux aussi, mais ils ne le furent pas… D’où nos réserves sur l’insistance mise sur cette créolité blanche qui parait bien restrictive et guère durable.
Il est heureux que le dynamisme louisiananis ait réussi à intégrer toutes ces popuations, aussi diverses soit-elles, que ce soit par leur sentiment identitaire, fondé ou non, ou par leur origines ethniques et leurs croyances…
L’histoire de la Louisiane a ceci de passionnant qu’en avançant dans sa connaissance on se pose de plus en plus de questions.
Bien sûr, on peut se demander si les plantations créoles étaient elles aussi esclavagistes. La réponse est oui, tout comme les autres. Quelle que soit l’origine, la culture ou le statut du propriétaire, le régime était à peu près le même.
La Plantation Laura ne fit pas exception à la règle. La question de savoir si on y pratiquait une forme plus « douce » est très difficile à trancher, même au travers des écrits de Laura - qui ne concernent que la période postbellum (après la Guerre de Sécession).
Il serait beaucoup plus intéressant de savoir si les plantations dirigées par des métis adoptaient d’autres méthodes et si leur type d’esclavage était moins sévère. C’est là un travail d’historien sur lequel nous ne pouvons aller plus loin tant il est difficile techniquement et politiquement. Dans les quelques discussions que nous avons eues, il semblerait que c’était avant tout affaire de personnalité et de conditions économiques. Certains maîtres étaient plus humains que d’autres et attribuaient des jours de congés, des lopins de terre, des aides pour soigner les malades, etc., mais comme les esclaves ne pouvaient pas changer de plantation, ceci ne signifiait pas grand chose. En plus, ce qu’un maître avait pu établir de positif pouvait être remis en question par le suivant. Rien que la généalogie des Locoul a montré des maitresses très dures ou plus compréhensives… Bref, ces visites nous ont plongé dans des questions infinies auxquelles nous n’avons évidemment pas les moyens de répondre.
L’autre grande interrogation qui subsiste est la référence des guides de Whitney et de Laura à la thèse selon laquelle la Guerre de Sécession aurait été déclenchée non pas pour des motifs humanistes, mais bassement économiques, « le Nord jalousant la richesse du Sud » ou « voulant récupérer sa main d’œuvre pour remplir ses usines » selon nos interlocutrices, ou encore à la lecture des dossiers remis aux visiteurs.
Là dessus, nous sommes très circonspects, en y voyant quelques objections, mais ce n’est pas le lieu d’en discuter de manière approfondie.
Seconde partie du chapitre sur Laura
Matériel : Nikon D4, objectifs Nikkor : 1,4/105 mm, 2,8/14-24 mm et Sigma Art, 1,4/35 mm.
Développement des RAW sur Capture One 11