Le journaliste doit-il s’inspirer du publicitaire ?
La question apparaîtra au mieux incongrue, au pire indécente.
Le premier travaille pour rechercher et diffuser la vérité –
on appelle cela « informer », le second pour séduire
et vendre quand ce n’est pas pour tromper – on appelle cela « communiquer ».
C’est pourquoi ils s’ignorent quand ils ne se critiquent pas.
Cependant, à y regarder de plus près, ces deux univers présentent
de fortes ressemblances : Informer est déjà communiquer.
Ce qui signifie que la séparation entre information et communication
ne résiste pas à l’examen. La vérité ne
serait-elle alors que la plus forte congruence des interprétations
dans un référentiel donné ? C’est ce qu’affirmait
déjà Pascal dans les Pensées. Ceci signifie clairement
qu’un journaliste est aussi un communicant contrairement aux antiennes
de certains représentants de la profession. Mais l’autre ressemblance
qui rapproche ces deux mondes est encore plus incongrue voire choquante :
c’est la concurrence des acteurs et le risque qui s’ensuit.
Quelles sont en définitive les principales qualités d’un
bon publicitaire ? Pour y répondre, nous puiserons à bonne
source, celle de David Ogilvy, fondateur de l’agence du même nom :
Il distingue, entre autres, la recherche quasi obsessionnelle de tout ce qui
concerne le produit, ses caractéristiques, bonnes ou mauvaises et son
environnement, sa consommation, le risque de l’expérimentation
y compris sur soi et son entourage proche lorsque ceci est possible, l’expression
sous forme simple, adaptée, de ce qui fait son identité, et
plus généralement, l’inscription de celle ci dans une
vision plus large permettant de mieux l’appréhender et de se
l’approprier en recourant aux (meilleures) rhétoriques textuelles
ou audiovisuelles.
De son côté, le journaliste (digne de ce nom comme le proclament
les chartes) effectue la même démarche : il s’immerge
dans le sujet, s’en imprègne, étudie son environnement,
son histoire récente et ancienne, y consacre un temps suffisamment
long pour limiter les faux sens et autres manipulations conscientes ou non
de ses sources – tout en se gardant de ses préjugés. Il
vise à simplifier sans trahir, à exprimer l’essence, à
dégager l’identité du fait pour favoriser la compréhension
sans négliger les aspects stylistiques ou rhétoriques. Face
au fait, le journaliste est modeste, il ne prend pas la place de l’information
comme le publicitaire n’occupe pas celle du produit, tous les deux savent
que ce qu’ils dégagent se situe dans l’éphémère
et n’a pour vocation ultime qu’à être digéré
par le consommateur jusqu’à ce que ce dernier, en s’appropriant
leur travail fonde son jugement en oubliant tout des sources dont il est redevable.
Dans un monde idéal, la vérité ne se dégage bien
que dans la concurrence comme la publicité permet qu’émerge
le meilleur produit pour le bien commun de tous (chacun plaçant ses
deux actions sur sa propres échelle de valeurs). Evidemment, dans la
réalité, les choses sont loin d’être aussi idylliques,
le publicitaire ne fait pas l’effort de tout connaître du produit,
ne prend pas le risque de l’expérimenter pour en dégager
la substance, n’ose pas systématiquement refuser de le promouvoir
s’il est mauvais (il faut bien vivre), il n’est pas toujours rigoureux
ni sincère, il lui arrive de pêcher par omission, bref il est
humain et faillible… Quant au journaliste – et autour de lui,
la rédaction et le « système médiatique »,
ne connaît-il pas les mêmes errements qui ont pour nom le rejet
du risque, la paresse d’aller au fond d’un sujet, l’acceptation
d’en parler sans avoir réuni suffisamment de matière dessus,
l’absence de prise de distance, sa propension à reprendre ce
que les autres ont dit ou écrit (en renforçant la pensée
unique et ses variantes politiquement correctes), ses obsessions, ses incompétences,
bref tout ce qui en lui est humain donc faillible ?
Dès lors, pourquoi ne pas chercher les valeurs qui pourraient faire
progresser les uns et les autres pour profiter de cette concurrence
- indispensable - pour améliorer la vie matérielle et le jugement
de nos concitoyens ?
JLM
2003
Ce texte est paru dans le catalogue du Festival international du Journalisme qui s'est tenu à Angers en novembre 2003.
Merci à mon ami Alain Lebouc.