Le résultat
du référendum du 29 mai 1005 sur le projet de traité
constitutionnel a donné pas loin de 3 millions de voix d’avance
aux partisans du non.
Si ce n’était dramatique pour l’Europe, pour la paix et
la prospérité de la France, on pourrait sourire comme beaucoup
d’étrangers le font en se rappelant de notre morgue en toutes
circonstances.
Sourire devant les doctes analyses de tous ces Diafoirus, apprentis juristes
ou politologues qui se penchaient gravement sur les moindres sous articles
et annexes alors qu’ils ne lisent même pas jusqu’au bout
leurs contrats personnels d’assurance. Le texte était destiné
à des spécialistes – qui plus est, dans 25 langues différentes.
Et dans ce genre de traité, c’est l’esprit qui compte,
on l’a bien vu avec Maastricht. Les élus et les commissions fabriquent
la jurisprudence. C’est leur travail, pas le nôtre. Sauf à
être des bricoleurs du droit constitutionnel.
Sourire devant le vote des ruraux… qui vivent en grande partie grâce
aux subventions européennes. Et qui vont hélas les voir baisser
peut-être rapidement…
Sourire devant un président qui a usé de toutes les ficelles
de la démagogie, de l’irresponsabilité, de l’inconséquence
(« c’est la faute à l’Europe ») et de l’incompétence
en ne rappelant pas la hauteur des enjeux, notamment pour la paix entre les
nations qui n’est jamais acquise quoi qu’en disent ceux qui ont
déjà oublié ce que vécurent leurs parents et leurs
grands parents.
Sourire devant la bêtise des phrases (je n’ose dire des arguments)
du « Non de gauche » qui n’est que celui de la vieille extrême
gauche qui refuse l’économie de marché et rêve encore
du grand soir… et des petits matins de la bureaucratie stalinienne,
de la misère de la sous consommation et de l’égalitarisme
imbécile qui tue toute création de l’esprit humain.
Sourire devant les idées usées jusqu’à la corde
des nationalistes (qui s’auto intitulent souverainistes pour essayer
de paraître moins archaïques…).
Ne figurent pas dans cette liste les (rares) arguments sérieux contre
la constitution, par exemple le fait que ce texte permettait encore et toujours
de rejeter sur l’Autre (éternel) ses propres irresponsabilités,
qu’il n’insistait pas assez sur le volontarisme exceptionnel de
cette aventure unique dans l’histoire humaine, ou encore qu’il
n’en faisait pas assez en matière de démocratie participative.
En gros, cette cohorte hétéroclite, vieillotte, sans idées,
sans perspectives, fermée, repliée sur ses petits privilèges
ne manifestait que la peur, peur de l’avenir et peur de l’autre
(le plombier…). Elle pouvait regrouper dans les 30% de l’électorat,
ce qui est certes beaucoup, mais pas suffisant.
Malheureusement, on a vu le résultat : environ 55% des suffrages exprimés
contre cette tentative courageuse et unique dans l’histoire de se construire
un avenir commun. Et comme les circonstances d’approbation ressemblent
à l’envoi de fusées aux confins du système solaire,
la prochaine fenêtre de tir (à condition qu’il y en ait
une autre…) n’est pas pour demain. D’où les comptes
qu’il faut demander aux responsables politiques de cet échec.
Voyons d’abord les populations des régions concernées
réellement par les délocalisations (d’ailleurs beaucoup
moins européennes que mondiales, cf. le textile… et pas encore
si nombreuses que cela, heureusement). Ceux qui sont licenciés pour
ces raisons auraient eu des motifs sérieux d’avoir peur, même
si en toute logique ce devrait être le rôle primordial de l’Etat
de les protéger, quitte à en remettre d’autres sur le
marché du travail comme l’ont fait la plupart des pays développés.
Ce ne sont pas les salariés délocalisés les responsables
du non. Ils sont trop peu nombreux et leur désarroi les excuse. Alors,
qui porte la responsabilité de ce drame dont nous ne voyons pas encore
toutes les conséquences sociales, économiques et culturelles
? Doit on être triste ou en colère devant tant de gâchis
?
Tristesse d’abord devant l’absence de perspective et de souffle
de ceux qui ont fait l’Europe, qu’ils soient à gauche (Delors)
ou à droite (Giscard d’Estaing). Il est vrai que leurs bons camarades
de parti n’avaient pas trop envie de leur faire ce cadeau, en particulier
Chirac qui continue de démolir tout ce que construit Giscard. Où
sont les arguments que Mitterrand auraient employés, où est
le rappel historique, le sens, la vision ? Il est vrai que le facteur déclare
que les rappels à la seconde guerre mondiale sont devenus inutiles
(Munich, Hitler connais pas, peut-être ?)
Tristesse devant le décalage des intellectuels. Ils ont essayé
de se faire entendre, mais ils étaient perçus comme ceux d’en
haut. Qui aura le courage de dire à ceux d’en bas de se secouer,
de combattre l’adversité et de progresser sans tout attendre
de la société (avant de te demander ce que ton pays peut faire
pour toi, demande toi ce que tu peux faire pour ton pays, comme le disait
Kennedy). Il nous manque Victor Hugo pour montrer que le peuple conserve toujours
sa dignité et qu’il peut toujours se dépasser et changer
sa condition, qu’il n’y a jamais de déterminisme absolu,
contrairement à ce que nous serinent les adeptes de Bourdieu qui ne
font eux mêmes que mal répéter Zola.
Tristesse et colère contre Chirac qui a pris – comme d’habitude
– les plus mauvaises décisions (mauvaise campagne, mauvais calendrier,
mauvais arguments, mauvaise communication, amnésie quant au sens de
son élection surprise, limitations des réformes sitôt
qu’elles heurtaient le moindre conservatisme. Soyons clairs, je n’aurais
pas « voté » Raffarin, mais son bilan est relativement
positif compte tenu des circonstances françaises, de nos glorieuses
exceptions (qui ne vont plus peser bien lourd maintenant que nous serons seuls
à les défendre) et de son patron, incapable de donner un cap
et de s’y maintenir. La seule consolation – mais à quel
prix – sera que la place historique de Chirac, loin derrière
De Gaulle et Mitterrand, et même Giscard ou Pompidou sera celle du plus
mauvais président de la Cinquième. A ce propos, je pense qu’il
serait de salut public que de lui voter une loi d’impunité définitive
pour qu’il puisse enfin quitter le pouvoir… ou ne pas tout faire
pour se poser en recours et briguer un troisième mandat en poussant
tout le monde à la catastrophe. Laissons lui une retraite tranquille
pour qu’il médite sur ses erreurs et ses chances gâchées.
Tristesse devant le PS qui n’a jamais su lui non plus trouver le ton
historique qu’il fallait ni se lancer dans un positionnement résolument
réformiste, une voie s’inspirant de Blair et Schroder (je n’ai
même pas envie d’ajouter « mais respectant l’identité
française » car ce genre de considérations en ce moment
de notre histoire semble plutôt dangereux car nationaliste, et je n’ai
pas envie de le rapprocher de socialisme).
Colère devant Fabius qui pour des calculs tactiques (s’imposer
comme le seul présidentiable, faire voter toute la gauche pour lui…
puis la trahir et l’exécuter ensuite) a osé détruire
ce que son mentor n’a eu de cesse de construire avec une force, un talent
et une conviction que l’histoire lui reconnaît déjà.
En éternel adolescent insouciant, il a attendu 50 ans pour tuer le
père, dommage qu’il ait eu la peau de l’Europe en même
temps et nos rêves avec. Quant aux autres leaders du PS, que font ils
encore dans ce parti ? Qu’ils aillent ou retournent vers l’extrême
gauche, ce sera plus clair (mais poins prestigieux pour eux et moins proche
du pouvoir, seraient-ils tenus par l’ambition personnelle ?).
Tristesse enfin devant le vote des électeurs de gauche, les jeunes
en particulier, qui se sont laissés manipuler sans rien comprendre
aux enjeux. Certes, ils sont angoissés pour leur avenir et voulaient
punir Chirac de la présidentielle, mais fallait il le faire sur le
dos de l’Europe, ne pouvaient-il attendre 2007 ?
Colère froide devant le vote des fonctionnaires de gauche (essentiellement
manipulés par Attac et ses satellites) qui eux n’ont rien à
craindre pour leurs emplois, mais qui craignent peut-être un peu plus
de pression sur leur travail (on a vu les réactions avec la réforme
des 35 heures) et ont le culot de proclamer qu’ils veulent défendre
les services publics (en insistant sur le fait que cette belle appellation
franco-française n’était pas assez présente dans
le texte) alors qu’il s’agit avant tout d’étendre
leurs intérêts catégoriels qu’ils font payer au
prix fort à tous ceux qui sont durement soumis à la concurrence
internationale. La belle manip en vérité. On se sert de ceux
qui souffrent pour défendre ses positions corporatistes, et nos syndicats,
qui sont les moins représentatifs d’Europe, en rajoutent sur
le registre du risque du libéralisme ou de l’ultra libéralisme.
Que veulent ils au juste ? l’utopie communiste ? Le socialisme réel
? Je suis de ceux à qui on a fait le coup que ça irait mieux
la prochaine fois, que le système soviétique était bon
quand même et que ses échecs étaient à imputer
aux éternels autres, au complot international… Quand donc la
gauche française acceptera-t-elle l’économie de marché,
c'est-à-dire le libéralisme pour se recentrer sur la défense
des salariés et pas sur la préparation du grand soir ? Socialiste,
oui, c’est le moyen, le « véhicule » pour la justice
sociale. Mais libérale avant tout, c’est sa finalité,
son seul positionnement d’avenir.
La France se réveille de ce champ de ruines sans encore bien mesurer
dans quelle dramatique situation elle s’est mise (cf. la presse internationale).
Et en plus, pour en rajouter sur notre arrogance, certains des gagnants du
non considèrent que nous tracerions la voie pour les autres, nous serions
les éclaireurs… Dommage que les mêmes critiquent les USA
de vouloir imposer leur conception de l’ordre mondial. Cynisme ou incohérence
?
A ceux qui se demandent «
que faire ? », comment surmonter ce revers qui va nous coûter
du temps et de la sueur (espérons le, sans les larmes…), on peut
juste tracer quelques principes simples mais fondamentaux :
- Convaincre nos concitoyens qu’ils ont été abusés,
qu’ils ont réagi un peu vite, qu’il convient d’examiner
plus sereinement l’évolution de l’Europe, et symétriquement,
mieux expliquer qu’il y avait un texte, un contexte et un esprit de
ce projet
- Laisser le processus suivre son cours en Europe, ne pas dénier aux
autres le droit de se prononcer au motif de ce que les Français auraient
tranché pour tout le monde. C’est dangereux pour nous (le train
pourrait nous laisser sur le quai s’il y a une large approbation de
la plus grande partie des pays), mais ce sera pédagogique.
- Desserrer un peu le calendrier pour s’adapter aux consultations en
cours.
- Tout faire pour maintenir le lien avec l’Allemagne et résister
aux attaques de démantellement de l’Euro (certains demandent
déjà d’en sortir…).
- Et surtout, avoir le courage de dire que le prochain président nous
fera revoter ce texte (quelle honte y aurait il à le faire ?). Ceux
qui s’y sont livrés dans d’autres pays sont ils des imbéciles
? Le nouveau président aura quelques semaines pour le faire et en sortira
renforcé au plan politique et grandi au plan historique.
C’est notre dernière chance de ne pas sacrifier une génération
Cet article est assez polémique, ça m'arrive lorsque les circonstances l'exigent.
Pardon à ceux qui ont voté NON, mais quand même, je ne trouve vraiment pas de raison sérieuse, sauf ceux qui ont perdu un emploi pour une délocalisation européenne !!!
L'Europe était notre dernière aventure, mais les politiciens de tous bords s'en sont servis comme épouvantail !
Si on ne la fait pas, on prend au minimum 20 ans de retard et des risques considérables.
La guerre peut toujours revenir. La période du référendum m'a rappelé ce que mon père me disait de Munich qu'il a connu… ou du pacte germano-soviétique.