Leur logique est assez proche des scénarios-types, ils se construisent aussi à partir des principales variables du problème. La différence essentielle tient au fait que les scénarios sont plutôt dynamiques et concernent des situations ou des structures (les jeux sur ordinateur sont basés sur la même notion sachant que l'on ajoute des tirages aléatoires dans les combinaisons de variables) alors que les profils sont plutôt statiques et concernent des individus. Dans les cas où l'on veut clarifier une situation complexe contenant de la causalité circulaire et des variables fortement enchevêtrées, les pro¬fils sont d'une puissance étonnante. En quelques types (entre cinq et dix) ils condensent pratiquement tous les cas significatifs possibles et les rapportent à ce qui fait immé¬diatement sens. Naturellement, ils sont neutres au sens où, comme les scénarios, ils ne donnent pas d'indication sur la répartition, la fréquence, la force ou l'intérêt des phénomènes observés. De ce point de vue, ils sont « objectifs » en envisageant tous les (grands) cas possibles. Ils sont également très évolutifs, et retrouvent une des caractéristiques de base de toute simulation, c'est-à-dire sa capacité de se rapprocher infiniment près de la réalité en affinant la modélisation. Les profils peuvent se décompo¬ser en autant de sous-profils que l'on voudra. Les regroupements restent possibles à tout moment. Comme les scénarios, leur détermination est très souple : elle peut s'effectuer comme une conséquence de travaux statistiques et de sériations de variables collectées en grand nombre, c'est par exemple ainsi que procède Ber¬nard Cathelat avec ses sociostyles : il choisit des appellations très évocatrices parfois empruntées à un bestiaire inspiré de La Fontaine (comme les « cigales » ou les « fourmis »). Les profils ne sont pas nécessairement la résultante de mesures, ils peuvent provenir de prétests, sans valeur représentative assurée, mais aussi de la simple observation, de la réflexion logique ou de l'intuition. Ce qui compte, c’est que les individus du groupe de référence auquel ils sont destinés s’y reconnaissent, ce que l’on peut parfois tester après coup dans une démarche interactive. Ils peuvent tout aussi bien être induits (de la réflexion) ou déduits (de l’observation) ou encore mixtes et rétroactifs entre ces deux démarches.
Problématique : Les stratégies de communication en matière
de sécurité routière doivent elles engager une diversification
de leurs messages et de leurs médias en fonction de leurs publics cibles
pour augmenter leur taux d’écoute et de reconnaissance ?
Comme pour les scénarios, cette problématique ne sera pas discutée,
et les hypothèses complémentaires non détaillées.
• Profil 1 (le conducteur « professionnel »)
: vis-à-vis de cette cible, on se doute que les messages généraux
n’ont aucune chance d’aboutir. Ce profil est en attente d’arguments
techniques précis et de mesures qu’il considèrera comme
originales. S’il est convaincu, il peut devenir un relais d’opinion.
• Profil 2 (le conducteur occasionnel civique) : C’est
le non professionnel de bonne volonté. Il a conscience de ses limites
et cherche à bien faire – si on lui explique correctement les
choses…
• Profil 3 (le conducteur occasionnel inconscient) :
Guère plus compétent en conduite que le précédent,
il n’en a pas conscience et se voit comme un bon conducteur, d’où
sa dangerosité qui appellerait une action vraiment adaptée.
• Profil 4 (le conducteur expérimenté cynique)
: il se dit que comme il est bon conducteur, les conseils ne le concernent
pas… mais sont utiles quand même (pour les autres).
• Profil 5 (le cynique asocial) : Version aggravée
du précédent. Ce profil peut être en plus agressif et
vindicatif. Le fait qu’il soit quand même expérimenté
et bon conducteur (au sens où il n’a pas eu d’accident
grave) peut être intégré comme un sous profil symétrique
de celui qui aurait occasionné des accidents.
• Profil 6 (le donneur de leçons) : Il cherche
à « punir » ceux qui ne font pas ce qu’ils devraient.
Il peut aussi recourir à l’excès de zèle et tenter
de forcer les autres à le suivre. On peut envisager des sous profils
entre « bons » et « mauvais » conducteurs.
• Profil 7 (l’élitiste) : il se croit
« au dessus » des réglementations, cherche à pénétrer
leur logique mais ne les applique que quand il pense qu’elles sont justifiées.
Possède une grande culture des expériences des autres pays (en
particulier anglo-saxons) et est capable de relativiser les points de vue
en apportant des contre propositions (ne pas oublier quand même qu’il
ne respecte pas toujours les consignes du code de la route !).
Avec les variables envisagées sur cette problématique, on arrive
assez vite à sept profils. En affinant l’analyse et en adjoignant
des sous profils, on pourrait en dénombrer une bonne douzaine, ce qui,
par rapport à une question de cette complexité et de cette gravité
ne paraît pas excessif. On retrouve avec les profils le même mécanisme
qu’avec les scénarios. On ne couvre certes pas la totalité
des cas, mais la plupart de ceux qui comptent. Et s’il le faut, il est
toujours possible d’en rajouter pour se rapprocher encore plus près
de la réalité.
La mise au point des profils-types et leur validation dans une population
donnée pourra démontrer une hypothèse et conforter une
problématique, notamment en orientant la prévention vers des
messages beaucoup plus ciblés et peut-être un peu plus efficaces
que ceux qui sont émis sans grand succès depuis des années.
Leur détermination s’effectue par l’observation, la réflexion,
la logique mais aussi l’induction, l’imagination ou l’intuition.
Ce type de mémoire se conclut par des recommandations stratégiques
toujours bienvenues.
Les profils-types sont particulièrement bien adaptés aux objectifs
assignés à un mémoire : ils présentent une première
approche « compréhensive » (ou qualitative pour ne pas
trop sacrifier au franglais), constructiviste ou phénoménologique
pour les rattacher à un courant épistémologique. Ils
permettent d’en saisir d’un coup les principaux facteurs déterminants.
Pour aller plus loin dans la connaissance de la question et obtenir des données
quantitatives, il faudra passer à une étape déployant
plus de moyens d’investigation, à savoir une étude complète
confiée à un cabinet spécialisé… et à
l’auteur du mémoire qui deviendra pour le coup un chargé
de mission rémunéré à la hauteur de la qualité
de la tâche ! Un étudiant n’est pas à lui tout seul
un cabinet d’études de marketing ou de communication, il ne peut
livrer un travail de même ampleur, en particulier du point de vue des
enquêtes et des questionnaires. En revanche, les méthodes exposées
dans cette partie doivent lui permettre de se situer en amont et de repérer
sur quels axes il faudra commanditer l’étude pour qu’elle
soit féconde. Ceci illustre une fois de plus le lien indissoluble entre
les exigences intellectuelles d’un mémoire et une activité
professionnelle créative et intelligente.
Ces deux outils que sont les scénarios et les profils-types sont d’une
puissance étonnante pour un coût mental réduit, aussi
n’hésitez pas à les utiliser si votre sujet l’exige
ou l’accepte. Vous pouvez être sûrs qu’ils vous permettront
de clarifier votre pensée et de vous préparer à d’excellentes
performances dans la résolution des problèmes complexes que
vous aurez à affronter au cours de votre carrière. Si le côté
formalisateur vous inquiète, méditez ce qu’en disait Abraham
Moles en 1972 ! : « Les méthodes de formalisation réalisent
des convergences et une tension mentale vers la structure latente du phénomène
observé. »
Les profils et les scénarios rapprochent le chercheur de la structure et le rende plus efficace dans la compréhension de la complexité. Cet état d’esprit de découvreur aux sens toujours en éveil, cet entraînement à la mise à plat des situations les plus ambiguës permettent d’aborder sans effort majeur - et en souplesse - les problèmes réels.
Il s’agit d’une hygiène de vie et d’une saine limitation du stress grâce auxquelles l’efficacité professionnelle et le développement personnel vont de pair en accroissant le bien commun et en préférant l’éthique au chaos .