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Jean-Luc Michel

Le mémoire de recherche en information-communication

 

EXTRAIT

Les Profils Types

Leur logique est assez proche des scénarios-types, ils se construisent aussi à partir des principales variables du problème. La différence essentielle tient au fait que les scénarios sont plutôt dynamiques et concernent des situations ou des structures (les jeux sur ordinateur sont basés sur la même notion sachant que l'on ajoute des tirages aléatoires dans les combinaisons de variables) alors que les profils sont plutôt statiques et concernent des individus. Dans les cas où l'on veut clarifier une situation complexe contenant de la causalité circulaire et des variables fortement enchevêtrées, les pro¬fils sont d'une puissance étonnante. En quelques types (entre cinq et dix) ils condensent pratiquement tous les cas significatifs possibles et les rapportent à ce qui fait immé¬diatement sens. Naturellement, ils sont neutres au sens où, comme les scénarios, ils ne donnent pas d'indication sur la répartition, la fréquence, la force ou l'intérêt des phénomènes observés. De ce point de vue, ils sont « objectifs » en envisageant tous les (grands) cas possibles. Ils sont également très évolutifs, et retrouvent une des caractéristiques de base de toute simulation, c'est-à-dire sa capacité de se rapprocher infiniment près de la réalité en affinant la modélisation. Les profils peuvent se décompo¬ser en autant de sous-profils que l'on voudra. Les regroupements restent possibles à tout moment. Comme les scénarios, leur détermination est très souple : elle peut s'effectuer comme une conséquence de travaux statistiques et de sériations de variables collectées en grand nombre, c'est par exemple ainsi que procède Ber¬nard Cathelat avec ses sociostyles : il choisit des appellations très évocatrices parfois empruntées à un bestiaire inspiré de La Fontaine (comme les « cigales » ou les « fourmis »). Les profils ne sont pas nécessairement la résultante de mesures, ils peuvent provenir de prétests, sans valeur représentative assurée, mais aussi de la simple observation, de la réflexion logique ou de l'intuition. Ce qui compte, c’est que les individus du groupe de référence auquel ils sont destinés s’y reconnaissent, ce que l’on peut parfois tester après coup dans une démarche interactive. Ils peuvent tout aussi bien être induits (de la réflexion) ou déduits (de l’observation) ou encore mixtes et rétroactifs entre ces deux démarches.


Exemples de profils-types


Problématique : Les stratégies de communication en matière de sécurité routière doivent elles engager une diversification de leurs messages et de leurs médias en fonction de leurs publics cibles pour augmenter leur taux d’écoute et de reconnaissance ?


Comme pour les scénarios, cette problématique ne sera pas discutée, et les hypothèses complémentaires non détaillées.
• Profil 1 (le conducteur « professionnel ») : vis-à-vis de cette cible, on se doute que les messages généraux n’ont aucune chance d’aboutir. Ce profil est en attente d’arguments techniques précis et de mesures qu’il considèrera comme originales. S’il est convaincu, il peut devenir un relais d’opinion.
• Profil 2 (le conducteur occasionnel civique) : C’est le non professionnel de bonne volonté. Il a conscience de ses limites et cherche à bien faire – si on lui explique correctement les choses…
• Profil 3 (le conducteur occasionnel inconscient) : Guère plus compétent en conduite que le précédent, il n’en a pas conscience et se voit comme un bon conducteur, d’où sa dangerosité qui appellerait une action vraiment adaptée.
• Profil 4 (le conducteur expérimenté cynique) : il se dit que comme il est bon conducteur, les conseils ne le concernent pas… mais sont utiles quand même (pour les autres).
• Profil 5 (le cynique asocial) : Version aggravée du précédent. Ce profil peut être en plus agressif et vindicatif. Le fait qu’il soit quand même expérimenté et bon conducteur (au sens où il n’a pas eu d’accident grave) peut être intégré comme un sous profil symétrique de celui qui aurait occasionné des accidents.
• Profil 6 (le donneur de leçons) : Il cherche à « punir » ceux qui ne font pas ce qu’ils devraient. Il peut aussi recourir à l’excès de zèle et tenter de forcer les autres à le suivre. On peut envisager des sous profils entre « bons » et « mauvais » conducteurs.
• Profil 7 (l’élitiste) : il se croit « au dessus » des réglementations, cherche à pénétrer leur logique mais ne les applique que quand il pense qu’elles sont justifiées. Possède une grande culture des expériences des autres pays (en particulier anglo-saxons) et est capable de relativiser les points de vue en apportant des contre propositions (ne pas oublier quand même qu’il ne respecte pas toujours les consignes du code de la route !).


Avec les variables envisagées sur cette problématique, on arrive assez vite à sept profils. En affinant l’analyse et en adjoignant des sous profils, on pourrait en dénombrer une bonne douzaine, ce qui, par rapport à une question de cette complexité et de cette gravité ne paraît pas excessif. On retrouve avec les profils le même mécanisme qu’avec les scénarios. On ne couvre certes pas la totalité des cas, mais la plupart de ceux qui comptent. Et s’il le faut, il est toujours possible d’en rajouter pour se rapprocher encore plus près de la réalité.


La mise au point des profils-types et leur validation dans une population donnée pourra démontrer une hypothèse et conforter une problématique, notamment en orientant la prévention vers des messages beaucoup plus ciblés et peut-être un peu plus efficaces que ceux qui sont émis sans grand succès depuis des années. Leur détermination s’effectue par l’observation, la réflexion, la logique mais aussi l’induction, l’imagination ou l’intuition. Ce type de mémoire se conclut par des recommandations stratégiques toujours bienvenues.
Les profils-types sont particulièrement bien adaptés aux objectifs assignés à un mémoire : ils présentent une première approche « compréhensive » (ou qualitative pour ne pas trop sacrifier au franglais), constructiviste ou phénoménologique pour les rattacher à un courant épistémologique. Ils permettent d’en saisir d’un coup les principaux facteurs déterminants. Pour aller plus loin dans la connaissance de la question et obtenir des données quantitatives, il faudra passer à une étape déployant plus de moyens d’investigation, à savoir une étude complète confiée à un cabinet spécialisé… et à l’auteur du mémoire qui deviendra pour le coup un chargé de mission rémunéré à la hauteur de la qualité de la tâche ! Un étudiant n’est pas à lui tout seul un cabinet d’études de marketing ou de communication, il ne peut livrer un travail de même ampleur, en particulier du point de vue des enquêtes et des questionnaires. En revanche, les méthodes exposées dans cette partie doivent lui permettre de se situer en amont et de repérer sur quels axes il faudra commanditer l’étude pour qu’elle soit féconde. Ceci illustre une fois de plus le lien indissoluble entre les exigences intellectuelles d’un mémoire et une activité professionnelle créative et intelligente.


Ces deux outils que sont les scénarios et les profils-types sont d’une puissance étonnante pour un coût mental réduit, aussi n’hésitez pas à les utiliser si votre sujet l’exige ou l’accepte. Vous pouvez être sûrs qu’ils vous permettront de clarifier votre pensée et de vous préparer à d’excellentes performances dans la résolution des problèmes complexes que vous aurez à affronter au cours de votre carrière. Si le côté formalisateur vous inquiète, méditez ce qu’en disait Abraham Moles en 1972 ! : « Les méthodes de formalisation réalisent des convergences et une tension mentale vers la structure latente du phénomène observé. »

Les profils et les scénarios rapprochent le chercheur de la structure et le rende plus efficace dans la compréhension de la complexité. Cet état d’esprit de découvreur aux sens toujours en éveil, cet entraînement à la mise à plat des situations les plus ambiguës permettent d’aborder sans effort majeur - et en souplesse - les problèmes réels.

Il s’agit d’une hygiène de vie et d’une saine limitation du stress grâce auxquelles l’efficacité professionnelle et le développement personnel vont de pair en accroissant le bien commun et en préférant l’éthique au chaos .

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