Comme chacun sait, la technique n'est pas neutre, et les choix en matière d'architecture de réseaux locaux influent directement sur le mode de fonctionnement des outils, ainsi que sur les usages que l'on compte privilégier. C'est pourquoi il nous semble utile d'examiner rapidement l'état de l'art en matière de réseaux locaux.
Rappelons tout d'abord que constituer un réseau local consiste à relier des ordinateurs les uns avec les autres de façon à ce que leurs utilisateurs puissent échanger des données ou partager des ressources communes (p.e..... des programmes professionnels de traitement de texte). Deux grandes familles de réseaux se présentent alors:
1. Les réseaux réalisés avec des terminaux passifs. Cette solution provient en droite ligne de la grande informatique, mais il convient de prendre en compte le fait que les possibilités de travail en local (c'est-à-dire sur chaque poste) peuvent être assez étendues si l'installation est performante. On ne se trouve plus en présence de vulgaires postes de saisie, comme des caisses enregistreuses électroniques, mais de machines qui simulent assez bien des micros autonomes...
2. Les réseaux réalisés à partir de micro-ordinateurs connectés les uns avec les autres. Il s'agit de la tendance la plus récente et vraisemblablement la plus souple et la plus prometteuse... Il devient même possible de faire dialoguer des matériels complètement différents et a priori incompatibles, chacun d'eux voyant les logiciels ou les fichiers communs sous sa propre présentation.
Les terminaux intelligents constituent une alternative intéressante réunissant les deux systèmes, chaque poste recevant alors des mémoires et des capacités de calcul presque comparables à celles d'un micro autonome.
Ce qui nous semble capital du point de vue éducatif et pédagogique dans ces diverses configurations, c'est que les utilisateurs (entre autres nos élèves) puissent dialoguer en mode " point à point ", de sorte que n'importe lequel d'entre eux ait la possibilité d'appeler n'importe quel autre et d'envoyer des fichiers, des données brutes ou travaillées, des textes, des enquêtes, des schémas ou des calculs...
En termes de spécialistes, on pourrait décrire une configuration de ce type comme transversale ou " horizontale " (cf. schéma n° 1). On la rencontre aujourd'hui dans les applications bureautiques les plus modernes (1). Un simple câble relie les différentes machines, I'une d'entre elles se trouvant " dédiée " (en jargon informaticien) à gérer un disque dur (2) et une imprimante, sans pour autant faire office de serveur exclusif puisque chacun des postes peut tour à tour assurer ce rôle. Un logiciel de communication (dont les performances se jugent à son invisibilité pour les utilisateurs) se charge d'orchestrer les échanges d'informations entre les micros.
Pour ceux qui voudraient savoir comment les choses se déroulent du point de vue technique disons grossièrement que chaque ordinateur laisse passer les messages qui ne lui sont pas destinés et " capte " ou discrimine ceux qui le lui sont grâce à une logique spécialisée. Ajoutons que ces réseaux locaux nous semblent les mieux adaptés à la découverte des principales fonctionnalités de la télématique (sur lesquelles nous reviendrons en détail dans de prochaines fiches) et à la pratique personnelle des échanges de données, de fichiers, de programmes ou de connaissances, ceci dans une perspective un peu plus lointaine, et au sens de la " cinquième génération d'ordinateurs " (3).
Il est une autre architecture possible, le réseau pyramidal, dit "en grappe" ou en étoile (cf. schéma n° 2) qui comme son nom l'indique, fait converger les différents postes vers un centre commun, appelé communément une tête de réseau ou encore un serveur local. On remarquera que cette configuration rappelle les constructions de la grande informatique avec une unité centrale et des terminaux "esclaves ". On se retrouve alors devant l'alternative évoquée plus haut : installer des terminaux passifs, tous reliés en permanence au serveur (et ne disposant par eux-mêmes d'aucune capacité de travail autonome) ou s'équiper de micros plus ou moins puissants disposant par exemple d'une petite capacité de mémoire vive leur permettant de travailler de manière indépendante grâce à un téléchargement des programmes (on observera que dans ce dernier cas, les utilisateurs risquent de se trouver privés de l'accès à des logiciels de performances " professionnelles " qui exigent de grandes capacités de mémoire).
Dans un cas comme dans l'autre, le résultat final dépend essentiellement de la puissance de l'ordinateur maître. Si plusieurs utilisateurs veulent " dialoguer " ensemble simultanément, c'est-à-dire échanger des données, ils doivent tous passer par la tête du réseau, laquelle risque de se trouver très vite saturée, car il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit dans la plupart des cas que d'un micro-ordinateur monotâche et mono-utilisateur (4), capable de ne faire qu'une seule chose à la fois.
On sera bien avisé de ne pas trop s'illusionner sur des configurations de ce type, qui pour être vraiment performantes exigeraient des logiciels de communication très élaborés et des postes de travail relativement puissants...
(1) Comme le célèbre réseau ETHERNET, le plus performant à l'heure actuelle.
(2)11 s agit de disques magnétiques de très grandes capacités, permettant d'enregistrer de 10 à 40 millions de caractères, malheureusement encore très coûteux (de 20 à 30 000 F).
(3) Qui traiteront de concepts, à l'image de notre intelligence, et seront de la sorte capables de prendre directement en charge des ordres donnés en langage naturel sans qu'il ne soit plus nécessaire de programmer au sens actuellement employé...
(4) Les modèles les plus puissants étant bien sur multi- tâches (c est-à-dire capables de faire plusieurs choses à la fois, comme leurs grands frères de la mini ou de la grande informatique) ou multi-utilisateurs (capables de traiter simultanément plusieurs dialogues)...
Publié dans le N° 20 (2-3-1985)
Jean-Luc MICHEL
Mars 1985
Cet article fut écrit en décembre 1984, en pleine préparation du plan "Informatique pour tous" dont j'eus la chance d'assurer la première phase de conception en tant que conseiller technique du SNI-PEGC (FEN) en accord total avec Gaston Defferre et Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Tout était codé : "tête de réseau" renvoyait à l'horrible "nanoréseau Thomson-Bull" qui devait finalement triompher. "Dialogue point à point" renvoyait au projet Macintosh dont j'étais évidemment partisan car je voulais que les enseignants disposent de la meilleure technologie de l'époque. Hélas, la sortie de l'article fut retardée après l'annonce de ce qui s'appela le plan Fabius.