Au décès de Jean Devèze, en novembre 2003, j'ai mis en ligne un texte pour rappeler ce que la SFSIC lui doit à lui aussi. Il contribua à la création des SIC en lui apportant son énergie, son sens de l'organisation et l'intérêt des scientifiques car il était physicien de formation. Un jour, il faudra lui rendre hommage en tant que troisième pionnier des SIC, qui avec Robert Escarpit et Jean Meyriat a contribué à créer notre communauté d'enseignants chercheurs.
J'ai vu naître (j'y ai même contribué) le Comité des sciences de l'information et de la communication (devenu ensuite SFSIC) le 25 février 1972. Ses objectifs initiaux peuvent se résumer simplement : faire reconnaître la légitimité scientifique et institutionnelle des disciplines vouées à l'étude de l'information et de la communication.
Il peut paraître étonnant que cette exigence n'ait pas été formulée plus tôt, alors que l'information et la communication sont depuis toujours des fondements de la vie sociale, qui ont souvent retenu l'attention d'historiens, de sociologues, de linguistes et de bien d'autres. Mais tous les considéraient comme des phénomènes parmi d'autres, dont la spécificité n'appelait pas la définition d'une science particulière, à la différence des phénomènes qualifiés d'économiques ou de politiques, dont l'analyse a demandé l'institution d'une science économique et d'une science politique.
En l'absence d'une discipline académiquement reconnue, l'enseignement supérieur public (Universités, grands établissements, grandes écoles) ne pouvait guère s'intéresser à ces matières, qui échappaient à la fois à sa mission d'approfondissement du savoir consacré et à celle de propagation de la culture. Leur caractère technique les rendait suspectes aux représentants patentés de la Science. Elles pouvaient faire l'objet d'activités professionnelles - mais l'Université française, foncièrement conservatrice, ne se reconnaissait de responsabilité dans la préparation à des professions que dans les secteurs de l'enseignement (et de la recherche), du médical et du juridique - tout récemment aussi de la gestion des entreprises. Jusqu'à la seconde moitié des années soixante, les qualifications nécessaires pour exercer une activité professionnelle dans les secteurs de l'information et de la communication sont acquises soit Òsur le tasÓ, soit dans des établissements généralement extra-universitaires. Le journalisme est enseigné au Centre de formation des journalistes de Paris (devenu en 1969 Centre de formation et de perfectionnement des journalistes), à lÕÉcole supérieure de journalisme de Lille, au Centre international d'enseignement supérieur du journalisme de Strasbourg. Les relations publiques et la publicité le sont à l'Institut des relations publiques cadres supérieurs (sic), à lÕÉcole française des attachés de presse et dans d'autres écoles privées. Le cinéma et la télévision, à l'Institut des hautes études cinématographiques, devenu Fondation pour lÕenseignement des métiers de lÕimage et du son en 1988. Les bibliothécaires sont formés à lÕÉcole des bibliothécaires-documentalistes de l'Institut Catholique de Paris (qui date de 1935) ou, s'ils sont sélectionnés par un concours de recrutement dans la fonction publique, à lÕÉcole nationale supérieure des bibliothèques, créée en 1963 par la Direction des bibliothèques et de la lecture publique pour répondre à ses besoins en personnel. Les conservateurs d'archives publiques le sont par la vénérable École nationale des Chartes (créée en 1821, réorganisée en 1846) ; les documentalistes le sont, depuis 1950, par l'Institut national des techniques de la documentation, rattaché au Conservatoire national des arts et métiers. Dans ces instituts, centres ou écoles, les enseignements sont assurés par des professionnels, dont la plupart conservent pour l'essentiel leurs activités habituelles (par exemple ceux qui donnent des cours à l'INTD), et quelques-uns seulement se consacrent pour un temps à l'enseignement, comme les bibliothécaires détachés à l'ENSB. Dans le cas exceptionnel de lÕÉcole des Chartes, il s'agit de savants qui font de l'enseignement une carrière, mais ils constituent un corps spécifique dont les effectifs sont très faibles.
Moi-même, par un détour singulier, c'est en tant que professionnel que je me suis trouvé appartenir à cet ensemble flou. Lorsque j'étais à Normale supérieure, je me dirigeais résolument vers l'étude de l'antiquité classique; j'ai même consacré du temps à des spécialités comme l'épigraphie et la numismatique, que j'ai bien négligées depuis, mais dont la rigoureuse méthodologie m'a été fort utile. Les circonstances de la guerre, impliquant mon passage en Espagne, m'ont fait abandonner cette voie, et dès après la Libération j'ai commencé à me reconvertir dans la science politique. En 1948, sur les conseils de mon ami et aîné J.-B. Duroselle (qui s'engageait pour sa part dans une brillante carrière en histoire contemporaine), je me suis temporairement éloigné de l'université et me suis fait détacher à la toute jeune Fondation nationale des sciences politiques, où me fut confiée la responsabilité d'organiser et de diriger les services de documentation. Ainsi me suis-je trouvé documentaliste sans y avoir été préparé, ce qui était encore la situation la plus courante à l'époque. Mais, à la réflexion, je me demande si je n'avais pas bénéficié d'une bonne préparation, celle de l'utilisateur critique. Pour les besoins de mes travaux philologiques, j'avais assidûment fréquenté diverses bibliothèques (la seule source d'informations existant alors pour les disciplines de l'antiquité), celles de Normale supérieure, de lÕÉcole pratique des hautes études, de la Sorbonne, et la Bibliothèque nationale ; et ma reconversion en science politique m'avait ensuite obligé à consommer beaucoup de documents de types différents. J'en avais tiré d'utiles enseignements sur les moyens à utiliser et les obstacles à surmonter pour se procurer l'information nécessaire à toute étude.
J'abordais donc la documentation du point de vue des besoins qu'elle doit satisfaire, en remontant à partir d'eux jusqu'aux techniques et aux méthodes permettant d'y parvenir. Si par la suite j'ai pu mettre en place un certain nombre de systèmes documentaires que leurs utilisateurs ont appréciés, c'est en bonne partie grâce à la démarche qu'une ignorance initiale m'avait imposée. La même heureuse ignorance m'a libéré d'un respect exagéré envers des traditions et habitudes professionnelles, et m'a engagé à réfléchir aux principes sur lesquels devaient reposer les pratiques de mon nouveau métier. Je m'aperçus bientôt que ces principes étaient assez rudimentaires; les réalisations pratiques se multipliaient et s'enrichissaient d'apports techniques, mais les bases théoriques restaient fragiles. Je me résolus bientôt à migrer une deuxième fois vers de nouvelles régions : la science politique élargissait son territoire, y accueillait beaucoup d'esprits bien faits et n'avait pas besoin de moi, alors que l'étude de l'information restait, en France, un terrain peu défriché. Intéressé par cette orientation, le président de (ce qui était alors) la sixième Section de lÕÉcole pratique des hautes études, Fernand Braudel, m'avait invité à donner des conférences sur la théorie de la documentation dans cette École. C'est ensuite en 1962 que j'y fus élu directeur d'études, retrouvant ainsi le chemin d'une carrière d'enseignant-chercheur. Mais je gardai en même temps mes responsabilités dans l'activité documentaire, appliquant la doctrine que je professais et selon laquelle il est essentiel dans ce domaine d'appuyer l'une sur l'autre la théorie et la pratique. J'intitulai ma direction d'études Òméthodologie de l'information scientifiqueÓ, marquant ainsi le recul pris par rapport à la simple documentation. Il s'agissait bien de science de l'information, mais en 1962 le terme d'Òinformation scienceÓ commençait seulement à entrer dans l'usage aux États-Unis, et son introduction en France aurait heurté trop d'habitudes. Je me suis de cette façon trouvé, me semble-t-il, le premier titulaire de l'enseignement supérieur nommé pour enseigner cette discipline. Il est vrai que c'était dans un établissement voué à l'innovation scientifique, et qui déjà abritait des directions d'études de sémiologie, un actif Centre d'études des communications de masse, etc.
Parmi les universités, rares sont celles qui ont accordé une place institutionnelle à ces matières. L'Université de Paris a accueilli en 1957, parmi ses Instituts, un Institut français de presse, qui a pris ce nom en 1951 (succédant à l'Institut de Science de la Presse créé en 1937), délivre un diplôme propre depuis 1961 et, à partir de 1964, prépare à des doctorats de spécialité en sciences de l'information. Le Centre d'études littéraires et scientifiques appliquées, orienté surtout vers la communication d'entreprise et la communication commerciale, devient un institut de la Faculté des lettres en 1965. La filmologie a aussi obtenu droit de cité à l'Université de Paris comme à celles de Bordeaux ou de Montpellier. Notons encore qu'à lÕÉcole normale supérieure de Saint-Cloud, un novateur Centre audio-visuel a noué depuis 1959 des relations étroites avec des universités. A l'Université de Bordeaux, un Institut de littérature et de techniques artistiques de masse (ILTAM), fondé en 1965, conduit des recherches sur le livre et la lecture ; il va se regrouper avec un Centre d'études de presse et un Centre d'études et de recherches théâtrales dans un Centre d'études et de recherches en information et communication (CERIC), dont les membres assureront des enseignements au niveau du 2ème cycle dans le cadre d'une Unité pluridisciplinaire des techniques d'expression et de communication (UPTEC, créée en 1969). A Strasbourg, où l'Unesco a suscité dès 1956 la création d'un Centre international d'enseignement supérieur du journalisme, l'Université délivre une Maîtrise de journalisme. Son Institut de psychologie sociale, créé en 1966, fait une large place aux enseignements et aux recherches sur les communications de masse. Bien que cette énumération ne soit pas exhaustive, elle montre à la fois l'existence et la dispersion des premières interventions de l'Université dans notre domaine. Tous ces enseignements et ces directions de recherche sont assurés par des universitaires d'origines très diverses, qui se sont qualifiés et ont été recrutés sous le couvert d'une discipline traditionnellement reconnue : littérature française ou comparée, histoire, linguistique, sociologie, psychologie, sciences juridiques ou politiquesÉ Leurs centres d'intérêt se sont déplacés vers l'un ou l'autre des phénomènes de l'information ou de la communication, mais ils restent identifiés à leur discipline d'origine et ne se réclament pas d'une nouvelle obédience. Les équipes qui, dans les meilleurs des cas, les relaient sont constituées en majorité d'enseignants associés d'origine professionnelle et de statut très précaire, de vacataires chargés de cours, parfois de quelques chercheurs de rattachements divers. Les uns et les autres restent isolés dans leurs lieux d'implantation et ne connaissent pas d'espace où ils puissent se rencontrer et peut-être reconnaître des thèmes d'intérêt commun.
Cette situation commence à se modifier après 1965. L'augmentation constante du nombre des étudiants fait accepter par l'Université l'idée qu'il faut se préoccuper de leurs débouchés professionnels, et que même les diplômes délivrés par les facultés des lettres et sciences humaines devraient ouvrir d'autres carrières que celles de professeurs du secondaire. L'innovation décisive est, en 1966-1967, la création des Instituts Universitaires de Technologie, dans lesquels un Département, celui des ÒCarrières de l'informationÓ, doit préparer à tous les métiers dont l'information (au sens large) est la matière première : journalisme, publicité, communication d'entreprise, documentation, édition, librairie... Dès octobre 1967, après une expérimentation réussie à Bordeaux sous l'impulsion de Robert Escarpit, des départements portant le nom de cette spécialité, avec les deux options ÒdocumentationÓ et ÒcommunicationÓ, sont créés dans quatre IUT, à Bordeaux, Nancy, Strasbourg et Toulouse. Quatre autres suivent en octobre 1968, à Besançon, Dijon, Paris et Tours. Un neuvième, celui de Grenoble, sera créé seulement en octobre 1974. Peu après, une autre innovation allant dans le même sens et intéressant le deuxième cycle des études universitaires est, en janvier 1971, l'institution des Maîtrises de sciences et techniques. Une MST de communication est rapidement ouverte à Bordeaux ; quelques autres suivront. Indépendamment de ces nouveaux cadres, diverses initiatives sont prises pendant cette période par des établissements d'enseignement supérieur pour ouvrir des filières nouvelles, soit à finalité directement professionnelle, soit tendant à faire entrer des secteurs nouveaux de la réalité sociale dans le champ des objets de la réflexion universitaire. Les enseignements de cinéma se développent notamment à Paris I et Paris XIII, alors que Paris VII se dote d'un Département audio-visuel et que Paris III organise un Département d'études cinématographiques et audiovisuelles. Un cours de filmologie est inauguré à Lille en 1969. En 1970, Grenoble III met en place un certificat de maîtrise d'informatique et documentation littéraires. Au total, en 1971, une vingtaine d'unités d'enseignement et de recherche ont ouvert des filières correspondant à ce nouveau champ d'étude.
Ma double situation d'universitaire et de professionnel me sensibilisait particulièrement à cette évolution. Intéressé par la novation que représentait la création des IUT, j'en suivais la mise en place en tant que membre de la Commission pédagogique nationale de la spécialité. Je donnais depuis plusieurs années quelques cours à l'INTD, et fréquentais ainsi de futurs documentalistes. Après les soubresauts de mai 1968, je participais aux travaux de la Commission mise en place pour réformer cet Institut. Par ailleurs j'étais un employeur et recruteur de documentalistes. Tout cela m'amena à instituer une filière de formation de documentalistes hautement qualifiés, au niveau du troisième cycle. Ce fut en 1969 le Cycle supérieur de spécialisation en information et documentation, organisé par la Fondation nationale des sciences politiques, qui délivrait un diplôme d'établissement. Ce Cycle préfigurait exactement les dispositifs et la structure des futurs Diplômes d'études supérieures spécialisées, au point que, lorsque ceux-ci furent créés par un arrêté de 1974, il fut immédiatement habilité à délivrer le DESS de même intitulé, sans autre changement dans sa réglementation que de faire présider le jury d'examen par un professeur d'Université en exercice. Ainsi naquit le premier DESS de cette spécialité. Il fut rattaché à l'Institut d'études politiques de Paris lorsque celui-ci reçut le statut d'établissement public à caractère scientifique et culturel. Situation des enseignants-chercheurs
Ces développements instaurent une situation nouvelle, particulièrement l'ouverture des départements d'IUT. Il a fallu en effet créer des postes et recruter de nouveaux enseignants, en majorité au niveau des maîtres-assistants, pour enseigner ces spécialités récemment admises dans le monde universitaire. C'est une occasion pour quelques-uns de se consacrer à l'objet précis qui les intéresse, tel au cinéma, tel à la publicité, tel à l'analyse documentaire..., en débordant les critères de respectabilité scientifique de la discipline dans laquelle ils avaient obtenu leurs diplômes. C'est pour d'autres la promesse de nouveaux débouchés, qui leur permettent d'utiliser, dans une Université qui s'entr'ouvre, des compétences jusque là considérées comme seulement techniques. Mais c'est pour beaucoup le risque de s'engager dans une impasse, du point de vue de leur carrière. En effet, les spécialités auxquelles ils consacrent leur enseignement, et quand ils le peuvent leur recherche, et pour lesquelles ils doivent affirmer leur qualification, ne sont pas reconnues par le Comité Consultatif des Universités. Or, les avis de ce CCU sont en fait décisifs, à la fois pour le recrutement des personnels enseignants de statut universitaire, et ensuite pour le déroulement de leur carrière (titularisation, promotions...). Mais la réalité du CCU est d'être un ensemble de sections (ou dans certaines circonstances de groupes de sections) dont chacune statue librement dans son domaine de compétence. Et ces sections (ou éventuellement leurs sous-sections) sont disciplinaires, chacune étant compétente pour les enseignants-chercheurs d'une discipline traditionnelle : langues et littératures anciennes, histoire contemporaine, etc. Leurs membres appliquent naturellement aux dossiers qui leur sont soumis les critères habituels de leur discipline, et en suivent majoritairement les lignes de force bien établies. Ils n'ont guère de considération pour les postulants qui se sont engagés sur des sentiers trop excentrés, ou trop récents pour conduire rapidement à des résultats valorisants. Ils n'ont guère d'estime pour des travaux dont la composante ÒfondamentaleÓ leur paraît trop faible. Et ils préfèrent généralement des candidats plus ÒclassiquesÓ à ceux qu'ils considèrent soit comme des aventuriers, soit comme des laissés pour compte des spécialités reconnues. En somme, de nouvelles matières d'enseignement ont été admises, mais sans que ceux qui les enseignent aient acquis droit de cité. Pour qu'ils l'obtiennent, il faudrait qu'il puissent être appréciés par leurs pairs, c'est -à-dire par des collègues de même obédience. Il est donc devenu indispensable pour eux que leurs dossiers soient soumis à une section nouvelle du CCU, compétente pour les personnels spécialisés dans cette nouvelle branche du savoir. Cela leur permettra de suivre une carrière universitaire normale, ouvrant des perspectives légitimes de promotion. La voie étant ainsi dégagée, il faudra également en aménager les portes d'entrée, en permettant aux futurs spécialistes de se qualifier par une thèse dont la mention de spécialité afficherait clairement le nom du champ scientifique auquel ils entendent se consacrer. C'est dans ces termes que le problème apparaît avec évidence dès l'année 1971. Il est dans l'ordre des choses qu'il ait été publiquement posé d'abord par la Commission Pédagogique Nationale des IUT pour la spécialité Carrières de l'information, qui prend en charge les intérêts du groupe le plus nombreux des personnels concernés. Celle-ci est présidée par Robert Escarpit, dont le rôle de pionnier s'affirme à nouveau. Elle propose, pour désigner le nouveau domaine scientifique à couvrir, le terme ÒSciences de l'Information et de la CommunicationÓ, SIC. Elle adopte, à la fin de 1971, une motion demandant la création au CCU d'une section correspondant aux SIC, celle de doctorats dans cette spécialité et celle d'une Commission des SIC dans le Comité national du CNRS. Cette motion est bientôt soutenue par les Conseils d'administration de plusieurs Universités. Création du Comité des SIC
En même temps le président de la CPN a enrôlé dans sa croisade quelques collègues travaillant dans des spécialités complémentaires de la sienne propre. Outre moi-même, qui représente la branche de l'information documentaire, il s'est acquis le concours de Roland Barthes, mon collègue à la 6ème section de l'EPHE et grand nom de la sémiologie. Barthes à vrai dire se sent peu concerné par l'aspect institutionnel de l'opération mais se montre intéressé à promouvoir des recherches dont il reconnaît la parenté avec les siennes. Escarpit a engagé par correspondance une campagne de sensibilisation de tous les universitaires concernés. Une réunion leur est proposée à Paris le 25 février 1972, à laquelle 44 d'entre eux participent. Il en résulte la création d'un Comité des sciences de l'information et de la communication dont l'objectif explicite est d'obtenir la reconnaissance officielle de ces sciences dans l'enseignement supérieur français, par les moyens précités, et notamment en mettant en évidence ce quÕelles ont en commun. La discussion a porté principalement sur le nom proposé pour le domaine à couvrir. Le terme de SIC est finalement conservé, pour des raisons d'efficacité : le sentiment prévaut que le mot plus concret d'"informationÓ précise un peu la notion vague de Òcommunication"; ce couplage permet en même temps de servir les intérêts de plusieurs groupes distincts de spécialistes, sans prendre une position définitive sur l' épistémologie du domaine. Il est convenu qu'il inclut les études sur la signification, sans qu'il soit nécessaire d'alourdir l'expression retenue en y ajoutant un troisième vocable : le ÒsigneÓ a bien pour fonction d'établir une communication. La dénomination ainsi choisie mérite quelques commentaires ; elle n'est pas en effet dénuée d'importance ni de signification. Elle a depuis lors désigné de façon durable et incontestée une nouvelle discipline, et elle se retrouve dans le nom d'une société savante comme dans celui d'instances et de composantes universitaires. En même temps on doit remarquer que ce terme composé n'est guère employé que dans l'aire francophone ; dans les pays anglo-saxons par exemple, les Òcommunication studiesÓ et l'Òinformation scienceÓ restent deux domaines séparés. Que cette discipline soit une interdiscipline, tout le monde le reconnaît. Encore faut-il s'entendre sur ce que l'on met derrière cette appellation. Toute activité de l'esprit a pour matière première de l'information, tout processus impliquant plusieurs personnes suppose une communication entre elles ; toutes les sciences sociales rencontrent donc nécessairement l'information et la communication comme des éléments constitutifs de la société qu'elles doivent expliquer. Il y a une sociologie, une économie, un droit, une psychologie... de l'information et/ou de la communication. Chacune apporte une contribution à leur compréhension, une problématique spécifique pour leur analyse. Mais l'information ou la communication ne sont au coeur d'aucune de ces problématiques.
Or, cette interdiscipline est une discipline : c'est ce qu'entend affirmer le fait même de lui donner un nom. Autrement dit, il y a une problématique propre à l'information et à la communication, et en se laissant guider par elle on doit parvenir à dégager une théorie de ces phénomènes qui serait autre chose qu'une juxtaposition des éclairages latéraux fournis par d'autres disciplines. Cette interdiscipline est plurielle, comme le signifie son nom : ÒlesÓ sciences de... Il y a pluralité d'objets, d'objectifs théoriques, de finalités professionnelles. Mais cette pluralité est interne à une unité que nous avons voulu affirmer, et pas seulement pour des raisons d'opportunité. Réduite à son expression la plus simple, notre idée était que la communication est un processus dont l'information est le contenu ; l'une ne peut donc être comprise sans l'autre, l'étude de l'une et de l'autre ne fait qu'un. La conjonction ÒetÓ a un sens fort. L'information ne peut être conçue que communiquée (ou communicable), sans quoi elle ne se distingue pas de la connaissance. Et la communication (humaine) ne mérite d'être objet d'une science autonome que si elle engendre information, sans quoi elle se dissout dans l'océan sans rivages des relations de quelque sorte que ce soit entre les humains. Je reconnais que j'extrapole peut-être ici, en projetant sur nos idées mal décantées d'il y a vingt ans ce que la réflexion et la lecture des bons auteurs ont pu nous apprendre depuis lors. Mais je ne crois pas être infidèle à ce qui a été dès le départ l'intuition directrice de notre regroupement. Le Comité institué en février 1972 est une structure permanente, destinée à mettre en Ïuvre le programme qui a été arrêté en commun. Il comprend treize membres, parmi lesquels bien entendu Barthes et Escarpit, et aussi C. Guillebeau, A. Moles, F. Terrou. J'en ai été élu président, sans doute parce que j'étais mieux placé que d'autres pour promouvoir notre insertion dans les dispositifs institutionnelsÉ En fait, dans les premières années, c'est surtout Escarpit et moi-même qui avons fait fonction de cellule active du Comité. Nous avons en particulier multiplié les démarches, orales et écrites, auprès du cabinet du Ministre de lÕÉducation nationale et de la Direction des enseignements supérieurs pour obtenir les créations demandées. Nous y avons rencontré longtemps une courtoise méfiance devant notre soif d'innovation. Nous pouvions pourtant nous prévaloir de l'adhésion d'un nombre croissant de collègues qui déclaraient leur volonté de rejoindre la nouvelle section si elle était créée. En revanche, une hostilité plus ou moins avouée à ce projet émanait de sections antérieurement établies dont quelques membres considéraient que l'étude des phénomènes de la communication relevait de leur discipline et qu'il n'y avait pas lieu de venir chasser sur leurs terres.
La situation se débloque au milieu de 1974. Les autorités ministérielles se laissent alors séduire par l'idée de moderniser l'Université, et l'introduction d'une nouvelle matière d'enseignement, correspondant à ce qui commence à être un effet de mode dans le public, est vue désormais sous un jour favorable. Plusieurs des universitaires qui pourraient appartenir à la nouvelle section sont consultés par le Ministère. Et le 20 janvier 1975, un arrêté modifiant la composition du CCU y crée une 52ème Section : ÒSciences de l'information et de la communicationÓ. Il faut attendre un peu plus pour que soit atteint le deuxième objectif que s'était assigné le Comité des SIC. Encore pendant l'année 1974-1975, quelques UER juridiques sont seules à pouvoir délivrer un Òdoctorat en sciences de l'informationÓ, qui vise en fait les études de presse. Mais la liste limitative des spécialités dans lesquelles les universités littéraires peuvent décerner un doctorat de 3ème cycle n'inclut pas les SIC. C'est seulement à la rentrée 1975, en application d'arrêtés d'avril 1974, que quelques premiers établissements sont habilités à délivrer DEA et doctorats de 3ème cycle dans cette discipline. Cinq s'en réclament alors explicitement : Bordeaux III, École des hautes études en sciences sociales, Grenoble III, Nice et Paris IV. D'autres s'y sont ajoutés par la suite. Mais ce n'est pas ici le lieu ici de suivre leur histoire parfois mouvementée. La même possibilité ne sera jamais ouverte au niveau du doctorat dÕÉtat, jusqu'à la réforme de 1984 qui crée le Ònouveau doctoratÓ. La dénomination d'éventuelles spécialités est dès lors remise à la décision de chaque établissement. Plusieurs utilisent cet intitulé. Je dois honnêtement mentionner aussi l'objectif qui n'a pas été atteint, celui d'obtenir au CNRS la création d'une commission compétente pour les SIC. Nos demandes répétées en ce sens ont toujours rencontré un silence opaque : peut-être parce quÕelles ne pouvaient pas arguer d'un nombre suffisant d'équipes de recherche préexistantes (n'est-ce pas le problème de l'Ïuf et de la poule ?), peut-être à cause de l'inertie inhérente à toute énorme bureaucratie supposée gérer la recherche et soumise aux pressions de divers corporatismes. Quant au Comité créé en 1972, il se consolide en se donnant le statut d'association régie par la loi de 1901 (déclarée à la Préfecture de police le 12 mai 1972) et en recrutant de plus en plus largement de nouveaux membres, dont quelques-uns parmi les professionnels. Il joue déjà un rôle utile en mettent en contact les uns avec les autres des spécialistes de diverses appartenances qui n'avaient guère jusque là d'occasions de se rencontrer. Plus fondamentalement une de ses premières préoccupations avait été de délimiter le domaine scientifique dans lequel doit s'exercer son action ; dès mars 1972 il reconnaît que celui-ci est pluridisciplinaire, et établit une liste des disciplines et spécialités qu'il lui incombe de couvrir, en les répartissant entre ÒfondamentalesÓ et ÒappliquéesÓ. Cette liste est encore un peu hétéroclite, et témoigne des incertitudes qui affectaient notre réflexion. Parmi les disciplines dites fondamentales, à côté de la sémiologie et des principales sciences sociales de l'information, on trouve mentionnées la théorie de l'information (dont on parle beaucoup alors, mais qui n'a jamais prétendu être une discipline), la communication de masse (ensemble bien flou et maintenant passé de mode), la sociologie de la littérature (qui ne nous a jamais appartenu et que nous étions bien téméraires de paraître vouloir annexer). Quant aux disciplines appliquées, elles vont jusqu'à englober les sciences du spectacle et les études d'animation socio-culturelle, ce qui est au moins discutable, mais on n'y a pas fait figurer la communication d'entreprise ou l'étude des systèmes d'information et de leur gestion. Du moins savions-nous que cette liste n'était qu'un point de départ et que nous aurions dans l'avenir et en permanence à la critiquer pour l'affiner et la mettre à jour afin qu'elle puisse être notre affiche.
Nos trois premières années d'existence ont été surtout occupées par nos démarches et négociations institutionnelles qui nous ont laissé peu de liberté d'esprit pour nous acquitter de responsabilités plus fondamentales, d'ordre épistémologique. Pour faire reconnaître les SIC non seulement par les instances universitaires, mais aussi par la communauté scientifique, il fallait en effet être capables de montrer que ce sont vraiment des sciences, ou du moins qu'il est possible d'analyser scientifiquement les phénomènes relevant de l'information et de la communication. Il n'était pas suffisant de dire que l'exemple était donné par les États-Unis, où depuis des années l'étude scientifique de la communication était établie et cultivée par des écoles diverses, et où ensuite, pendant les années soixante, s'était également installée une Òscience de l'informationÓ. Pour notre part, nous avions posé en principe que les notions d'information et de communication sont indissociables. Mais il restait à le démontrer, sans quoi notre création verbale aurait seulement servi à habiller une alliance tactique entre des spécialités trop faibles pour agir chacune isolément. Qu'avions-nous en effet de commun ? Sans doute, notre domaine de réflexion et d'intervention. Son interdisciplinarité expliquait notre dette envers les disciplines classiques auxquelles nous empruntions concepts et bases théoriques. Mais il n'y a guère là de quoi créer une cohérence et nos tentatives de théorisation étaient partielles. Même les méthodes utilisées étaient au départ celles de toutes les sciences humaines, et il a fallu prendre le temps de constituer un outillage méthodologique qui soit propre aux SIC, comme l'analyse de contenu, les analyses d'audience, les études bibliométriques et infométriquesÉ En bref, notre légitimité scientifique était loin d'être fondée, notre unité paraissait factice, il nous fallait tenter de les justifier. Ce n'est qu'après avoir atteint l'essentiel de nos objectifs institutionnels, donc en 1975, que nous avons retrouvé l'énergie nécessaire pour aborder directement ces problèmes de fond. En novembre 1975, nous avons organisé à Paris un colloque sur les Òrapports entre sciences de l'information et de la communicationÓ, dont les Actes ont été publiés en 1977. A cette date, notre Comité se définissait lui-même comme une société savante. Pour bien le marquer, il changeait son nom trop modeste pour celui de Société française des SIC. En 1978, il organisait le premier Congrès Inforcom, à Compiègne, et publiait le premier numéro de la Lettre d'Inforcom . Cette Lettre d'Inforcom, qui voulait être un simple bulletin de liaison et non pas une revue scientifique, paraît toujours. Quant aux congrès Inforcom, ils sont régulièrement organisés tous les deux ans depuis 1978, le deuxième s'étant tenu en 1980 à Bordeaux sur le thème des Òobstacles à l'informationÓ. Ce sont ces congrès qui désormais offrent périodiquement un lieu où peut être constaté l'état d'avancement de notre discipline, et mesurée la distance qui le sépare de nos prévisions initiales, lesquelles étaient sans doute au départ inégalement réalistes. C'est ainsi qu'un de nos objectifs était de fournir des occasions de se rencontrer à tous ceux qui contribuaient à la recherche dans notre domaine, quel que soit leur statut, chercheurs patentés comme les universitaires ou professionnels désireux de prendre du recul par rapport à leur pratique. Mais il est apparu plus facile de faire reconnaître aux premiers les avantages apportés par la réalisation d'études sur commande que d'augmenter parmi les seconds le nombre des adeptes de la recherche désintéressée. Il ne semble pas que la proportion des Òprofessionnels-chercheursÓ parmi les membres de la SFSIC ou les participants à ses congrès croisse de façon significative.
Un autre enjeu de notre entreprise était de mettre en évidence les bases communes aux recherches sur l'information et sur la communication. C'est dans cet espoir que Robert Escarpit a eu l'audace de publier en 1976 une ÒThéorie générale de l'information et de la communicationÓ. Si nous ne sommes pas allés plus loin dans cette voie, c'est peut-être en raison de la nature nécessairement appliquée de notre discipline. En effet les terrains de cette application ont eu tendance à se particulariser les uns par rapport aux autres. Les professions auxquelles sont utiles les savoirs que nous produisons se sont développées en suivant des directions divergentes. Par suite, les filières d'enseignement qui y conduisent sont nettement différenciées ; il y a peu de points communs dans la formation d'un journaliste, d'un documentaliste, d'un publicitaire. Et pourtant les technologies mises en Ïuvre, de plus en plus sophistiquées, leur sont de plus en plus communes. Il n'est pas anodin que les Ònouvelles technologies de l'informationÓ dont on parle tant soient en fait des technologies de la communication.
L'essentiel est sans doute que ces questions aient été posées et fassent l'objet de débats. Les SIC n'ont pas encore de théorie unifiée, mais elles s'enrichissent des contributions de chercheurs plus nombreux :
la Société que nous avons créée les a pour sa part aidés et stimulés. Elle ne pouvait résoudre tous les problèmes qui entravaient le développement de la recherche ; l'un des plus durables reste sans doute celui que posent la faiblesse, la dispersion et l'insuffisante structuration des équipes et groupes de recherche.
Mais là aussi des progrès s'annoncent. Nous nous réjouissons que notre Société ait pu y jouer un rôle.
La SFSIC a édité une plaquette de cet entretien que j'ai mis en forme et en page, mais comme celle ci est difficile à trouver, je mets à la disposition des lecteurs ce texte très important.
Merci d'en mentionner sa provenance en cas de citation.